Le show des mauvaises nouvelles de la N-VA
Les nationalistes flamands ont entamé leur road show qui dénoncera pendant un mois, chiffres à l’appui, les » bonnes nouvelles » du gouvernement Di Rupo. Sur fond de cacophonie interne. Reportage à Baasrode lors du lancement du » Café Bracke « .
Baasrode, Flandre-Orientale, lundi 2 septembre. Dans le Hangar 43, une vieille fabrique industrielle fraîchement rénovée et gorgée de lumière, le jaune et le noir de la Flandre et de la N-VA habillent les murs. Ce n’est pas la salle étouffante d’un concert sold-out, loin s’en faut. Mais une petite foule de curieux et de militants nationalistes s’y sont rassemblés pour ce happening politique, malgré un soleil généreux. Les médias sont venus eux aussi en nombre pour couvrir la première soirée du » Café bij Bracke en vrienden « , le road show entamé par le premier parti flamand pour contre-attaquer face au » gouvernement des bonnes nouvelles » du Premier ministre PS Elio Di Rupo. » Même la télévision francophone est là ! » s’émeut une dame. C’est dire combien le moment est mémorable dans cette sous-commune de Termonde où la RTBF ne doit pas venir souvent. Il faut dire que la N-VA, ces derniers temps, subit quelques vents contraires…
» Réformes ET confédéralisme »
Dans les allées, l’hôte du jour, Siegfried Bracke, multiplie les interviews. L’ancien journaliste politique de la VRT, devenu sénateur N-VA, est le maître d’oeuvre de cette tournée en Flandre qui comportera 16 dates jusqu’au 4 octobre. » L’objectif est de dresser le vrai état de notre pays, souligne-t-il. Avec beaucoup de chiffres, afin que les gens puissent se faire une opinion. Tout ne va pas bien, contrairement à l’image véhiculée par le gouvernement. Au contraire, la situation est préoccupante. » De solutions, il sera à peine question. » Des réformes socio-économiques sont nécessaires, d’urgence, complète Bracke. Mais comme la N-VA l’a toujours affirmé, ce sera lié à une réforme de l’Etat. Les deux vont de pair. Pour nous, ce sont les réformes ET le confédéralisme ! »
S’il répète ce credo à l’envi, c’est bien parce son » Café » est parti sur de bien mauvaises bases. Dans une interview accordée au Standaard paru le samedi précédent, le chef d’orchestre de la tournée lançait : » L’économie est plus importante que la confédération. » En précisant : » Même sans accord confédéral, nous entrerions dans un gouvernement fédéral. L’agenda socio-économique est trop urgent. » » Je voulais dire qu’une nouvelle réforme de l’Etat n’est jamais une fin en soi, se justifie-t-il. Elle n’est qu’un moyen pour arriver à une meilleure gestion. »
Mais le mal est fait. Bart De Wever, toujours président des nationalistes même s’il est désormais fort occupé par le maïorat d’Anvers, intervient pour rappeler la ligne officielle : économie et confédéralisme sont liés. Le matin-même, Bracke a dû présenter ses excuses publiquement devant le bureau de son parti. De Wever assène face aux médias : » Il a parlé pour lui-même. Il ne devait le faire ni maintenant, ni dans un journal. » L’option, stratégique, n’a pas encore été approuvée par les instances de la N-VA où l’aile radicale communautaire a beaucoup à dire. Une éventuelle participation des nationalistes au fédéral sans promesse de réforme de l’Etat devrait en outre passer par une majorité des deux tiers au conseil du parti, ce qui serait hautement improbable, précisent les spécialistes.
Comme si cela ne suffisait pas, le matin même du premier rendez-vous du » Café « , le baromètre politique RTL-TVI/ Ipsos/ Le Soir donne le parti nationaliste en chute libre par rapport au sondage du mois de juin, passant de 35 % à 30,7 %. Bart De Wever lui-même n’est plus que la deuxième personnalité la plus populaire de Flandre, derrière le ministre-président Kris Peeters. » La faute aux médias « , grincent quelques militants dans la salle de Baasrode. » Cela permettrait au moins à Bart De Wever de se concentrer sur son rôle de bourgmestre d’Anvers « , commente un confrère flamand. Un autre ajoute, sceptique : » Cette interview de Bracke n’est pas tombée du ciel. »
Une voix vient éteindre le brouhaha dans le Hangar 43. Marius Meremans, député flamand N-VA du cru, lance la soirée. » Si vous êtes ici, c’est parce que vous ne prenez pas les « bonnes nouvelles » du gouvernement fédéral pour de l’argent comptant, souligne-t-il. Comme nous, vous êtes soucieux de l’avenir de vos enfants et petits-enfants, vous ne voulez pas que l’on reste dans l’immobilisme à cause du modèle belge. Il y a urgence parce que notre pays est malade. » Le ton est donné.
Trois » bombes à retardement »
Siegfried Bracke monte sur le podium, visiblement pas trop décontenancé par ses mésaventures. Le Gantois a déjà dû surmonter une mise à l’écart temporaire de l’avant-plan médiatique à la suite de son décevant score aux élections communales d’octobre 2012. Ce road show, c’est un peu sa revanche. Il s’y est engagé avec tout son sens de l’analyse journalistique. Clairement orientée, en l’occurrence.
Sur l’écran géant, un chiffre inaugure la présentation : 387 milliards. » C’est le montant colossal de la dette de l’Etat, soit 104,5 % du Produit intérieur brut « , clame-t-il. Dans une profusion de chiffres, il compare ce que cela représente par habitant avec d’autres pays européens : 19 133 euros en Espagne, 25 553 euros aux Pays-Bas, 26 463 en Allemagne, 28 071 euros en France et 33 835 euros en Belgique. Il raille une citation antédiluvienne de l’ancien ministre du Budget PS Guy Mathot qui affirmait au début des années 1980 que la dette » va disparaître d’elle-même « . Quant à la croissance économique, elle reste trop timide, prolonge le sénateur N-VA. » Elle était plus importante lors de la crise politique. Bien sûr, la crise est passée par là, mais cela montre que le gouvernement Di Rupo ne fait pas la différence. »
Trois bombes à retardement pèsent en outre sur les finances publiques belges, prolonge l’exposé. Dexia, tout d’abord, une banque » toxique » dont le coût annuel représente 6,6 milliards par an pour la France, selon la Cour des Comptes. » Chez nous, les partis traditionnels refusent que l’on enquête à ce sujet « , dit Bracke pour qui le dossier est » digne d’une république bananière « . Deuxième bombe : l’Europe et le fossé » culturel et économique » qui sépare le Nord et le Sud comme il sépare la Flandre et la Wallonie. Sur bien des paramètres, des dépenses publiques au chômage en passant par les impôts, l’évolution belge suit davantage les tendances françaises qu’allemandes, selon la N-VA. Attention, danger. D’autant que la troisième bombe est là : le vieillissement de la population. » Entre 2020 et 2060, il représentera un coût annuel de 10 % du PIB, bien plus qu’en France ou en Allemagne. Et notre pays est le moins bien préparé. »
Ce show des mauvaises nouvelles épingle encore le coût du travail, bien trop élevé chez nous. » C’est un problème gigantesque pour notre compétitivité. Di Rupo dit : on ne touche pas aux classes moyennes. C’est faux ! » Et de multiplier les chiffres sur notre pression fiscale, beaucoup trop importante. Pour la Flandre, surtout. A l’écran, une vidéo de l’Open VLD Herman De Croo passe en boucle, répétant : » Sur un milliard d’impôts levés, 800 millions viennent de Flandre. »
» Doit-on se féliciter de ce que l’on obtient en retour de ces impôts payés, comme dans les pays scandinaves ? » interroge Bracke. Il reconnaît que » les avis divergent à ce sujet « . Mais dénonce pêle-mêle la pauvreté grandissante en Wallonie, le montant peu élevé des pensions en comparaison avec d’autres pays ou le coût des soins de santé. » Mais c’est vrai, nous sommes le seul pays avec des allocations chômage illimitées dans le temps « , raille-t-il. Avant de préciser : » Si j’étais encore journaliste, je n’aurais pas tiré d’autres constats. » La démonstration est faite, la conclusion évidente : » Pas de Di Rupo II ! » La salle applaudit, conquise.
» Nous le faisons mieux nous-mêmes »
C’est au tour de Matthias Diependaele, chef de groupe N-VA au parlement flamand, d’exposer que si tout va mal en Belgique… tout va cependant beaucoup mieux en Flandre. » La Flandre a des atouts, entame-t-il. Personne n’est aussi productif que nous. Nous avons des entreprises qui fonctionnent bien au coeur de l’Europe, des milliers de PME. 83 % des exportations belges viennent de Flandre. » La solidarité est bien présente, la confiance en la communauté est grande, selon les enquêtes. » Franchement, nous pouvons nous regarder dans le miroir. »
La preuve que » ce que nous faisons nous-mêmes, nous le faisons mieux » ? L’enseignement flamand, explique Diependaele, » c’est le deuxième en Europe, le septième au monde. L’OCDE continue à dire que nous sommes au top ! Bien sûr, cela a un coût, mais cela rapporte autrement plus. Au gouvernement flamand, nous nous sommes opposés aux volontés de le réformer quand c’était nécessaire. » Pour contrer le » dogme de l’égalité des chances « . Geert Bourgeois, ministre flamand… de l’Intérieur, N-VA, entamera lui aussi un tour de Flandre le 8 octobre pour parler de l’école. La campagne est bel et bien lancée.
Quelques mots encore pour dénoncer la sixième réforme de l’Etat, » trop compliquée « , » loin de la révolution copernicienne » annoncée. Le chef de groupe flamand en vient à la solution prônée par la N-VA : le confédéralisme. Une série d’extraits vidéo témoignent du fait que le vocabulaire est utilisé dans deux autres partis flamands : par Pieter De Crem et Servais Verherstraeten au CD&V ainsi que par Gwendolyn Rutten à l’Open VLD. Un appel du pied. Avant de faire une autre publicité, pour le congrès de janvier prochain qui sera chargé de définir plus précisément cette notion floue de » confédéralisme « . » 2014, ce sera l’année où vous pourrez choisir entre le « faisable » de Di Rupo et la force du changement, conclut le jeune chef de file flamand. Nous devrons être très nombreux pour pouvoir la concrétiser. »
Dans la salle, les applaudissements fusent. Pas de questions/réponses, place à la bière. Mieux vaut ne pas être dépressif après cette avalanche de nouvelles négatives. » Cela confirme mon sentiment sur l’état du pays, mais je m’attendais à entendre davantage de propositions concrètes pour y remédier « , lance un étudiant. Les réponses, ce sera pour début 2014, répète Siegfried Bracke aux micros des télévisions.
D’ici là, la N-VA devra éviter les cacophonies internes. Et espérer que la conjoncture économique ne se redresse pas.
Par Olivier Mouton – Photos : Jan Opdekamp pour Le Vif/L’Express
» La croissance est moins bonne que pendant la crise politique. Le gouvernement Di Rupo ne fait pas la différence »
» La qualité de notre enseignement prouve que ce que nous faisons nous-mêmes, nous le faisons mieux »
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