Le réveil des sens

Les beaux jours promettent des découvertes à fleur de peau tatouée et de l’érotisme avec la sulfureuse Origine du Monde et la rencontre Rodin-Mapplethorpe mais aussi, du plaisir distillé dans les tableaux de Watteau et Renoir. Des promesses charnelles… et un voyage au pays de la lumière.

Tatoueurs, tatoués

Le Musée du Quai Branly, à Paris, répond à l’intérêt grandissant porté au tatouage en rassemblant 300  » oeuvres  » historiques et contemporaines provenant du monde entier. Un événement ! Il s’agit de la première exposition examinant l’univers de cette pratique ancestrale. Le parcours aborde son ancienneté, son omniprésence dans différentes sociétés mais aussi la diversité de ses formes et le renouveau de ses expressions à travers les continents. Autre point fort de la visite : l’exploration de sa dimension artistique.

En effet, plusieurs indicateurs permettent d’affirmer que le tatouage a changé de statut. Jadis, sa vertu se lisait plus dans l’audace de l’acte que dans ses qualités esthétiques. Il devient par la suite porteur de messages intimes, de convictions personnelles ou marque l’appartenance à un groupe (soldats, prisonniers ou encore, Maoris). Progressivement, son caractère marginal s’efface pour devenir un ornement corporel. Et pour cause : dès la fin du XIXe siècle, les tatoueurs n’eurent de cesse d’innover, d’améliorer leur technique au point de confondre leur pratique avec les beaux-arts. Dragon ou papillon, entrelacs ou idéogrammes, certaines réalisations n’ont rien à envier aux chefs-d’oeuvre exposés dans les musées. D’ailleurs, que ce soit à Paris ou à Tokyo, certains tatoueurs font l’objet des mêmes attentions et faveurs que celles prêtées aux plus grands artistes. La reconnaissance est en bonne voie.

Coup de coeur pour la scénographie ponctuée d’oeuvres évolutives ! Créés spécifiquement pour l’occasion, treize  » volumes  » – reproduisant de manière hyperréaliste le corps humain – seront tatoués pendant l’exposition par des artistes tatoueurs de renommée internationale. Sont également présentés dix-neuf projets de tatouages peints par des maîtres de la discipline sur des kakémonos. Un sujet vivant, captivant… qui colle définitivement à la peau !

Musée du Quai Branly, à Paris. Du 6 mai au 18 octobre 2015. www.quaibranly.fr

De Watteau à Fragonard, les fêtes galantes

Des nobles qui batifolent. Des coquettes à la cueillette. Voilà l’ambiance d’insouciance que nous réserve cette exposition au musée Jacquemart-André, à Paris, entièrement dédiée aux fêtes galantes : un genre pictural qui éclot au début du XVIIIe siècle autour de la figure emblématique d’Antoine Watteau (1684-1721). Cet artiste met en scène, dans des décors champêtres à la végétation luxuriante, les plaisirs et le sentiment amoureux. Soit des oeuvres d’une grande poésie, diffusant une part de sensualité, voire d’érotisme habilement dissimulé… Les personnages représentés – souvent issus de la haute société – se promènent, écoutent de la musique, s’adonnent à des divertissements ou à des confidences.

L’exposition compte de beaux tableaux de Watteau mais également de sublimes dessins de sa main… Cette facette moins connue est passionnante. Elle permet de comprendre le processus créatif de l’artiste qui opère de façon si originale : le maître n’hésite pas à combiner sur sa toile plusieurs croquis (dont certains ont parfois été réalisés plusieurs années auparavant), à la manière d’un collage.

Dès la fin des années 1710, de nombreux peintres copient les oeuvres de Watteau ou s’en inspirent. La sélection met en lumière ces artistes, à travers les personnalités de Nicolas Lancret et de Jean-Baptiste Pater. Mais les plus créatifs de ses disciples sont François Boucher et Jean-Honoré Fragonard. Leurs oeuvres s’accompagnent d’une recherche d’élégance et d’un raffinement propres à l’esprit rococo. Mention spéciale pour les tableaux de Boucher – nos préférés – figurant des dames aux jolies formes et des messieurs s’affichant très entreprenants…

Musée Jacquemart-André, à Paris. Jusqu’au 21 juillet. www.musee-jacquemart-andre.com

L’illusion des lumières

Le parcours présenté au premier étage et dans l’atrium du Palazzo Grassi met en scène une vingtaine d’artistes… Leur point commun ? Tous ont tenté de dompter la lumière (sous toutes ses formes). Ils ont exploré les enjeux physiques, esthétiques et symboliques de l’une des réalités essentielles de l’expérience humaine… en passant par la lumière de l’éclairage (tout simplement) ou celle de l’éblouissement. Ces nombreuses notions ouvrent, pour les artistes contemporains, un immense champ de questions et d’explorations.

Balancé entre mirage et réalité, le visiteur vogue à la découverte d’une quarantaine d’oeuvres de la Collection Pinault. Des pièces des années 1960 à aujourd’hui, essentiellement inédites voire réalisées in-situ, signées Gilbert and George, Dan Flavin, Marcel Broodthaers, David Claerbout, Bruce Conner, Danh Vo ou encore, Claire Tabouret. Une balade muséale traversée de très nombreux rayons de soleil !

Palazzo Grassi, à Venise. Jusqu’au 31 décembre. www.palazzograssi.it

Lucio Fontana

D’une ampleur exceptionnelle, cette exposition consacrée à Lucio Fontana (1899-1968) au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris s’inscrit comme l’une des plus importantes rétrospectives de l’artiste italien, comptant parmi les grands visionnaires du XXe siècle. Né en Argentine, l’homme passa la majeure partie de sa vie à Milan. Il appartient à cette génération d’artistes abstraits italiens qui révolutionnent l’art des années 1930. Après un exil en Argentine (Seconde Guerre mondiale oblige…), il revient à Milan en 1947 et devient le chef de file du Mouvement Spatialiste qu’il définit dans divers manifestes. Ce mouvement part de l’espace et de la lumière pour concevoir des oeuvres en relation avec le monde environnant.

Réunissant plus de 200 oeuvres, l’exposition offre une vision chronologique et globale de son parcours atypique, de la fin des années 1920 à sa mort en 1968. Insistant sur la diversité de sa création, tous ses grands cycles – y compris les moins connus – sont représentés : ses sculptures primitives et abstraites, ses dessins, ses céramiques polychromes, ses oeuvres spatialistes, ses toiles perforées, ses oeuvres informelles, ses  » environnements  » et ses Tagli ou toiles fendues. Ces dernières – icônes de l’art moderne – continuent d’influencer les artistes actuels.

Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Jusqu’au 24 août. www.mam.paris.fr

Mapplethorpe et Rodin

Pour la toute première fois, le Musée Rodin, à Paris, confronte deux formes d’expression – sculpture et photographie – à travers les oeuvres de deux artistes majeurs. D’un côté, Auguste Rodin (1840-1917). De l’autre, Robert Mapplethorpe (1946-1989). Tout semble opposer ces deux personnalités. Le premier est à la recherche de la perfection esthétique à travers des clichés très construits. Le second tente de saisir le mouvement et conserve – voire cultive -les traces de l’élaboration de l’oeuvre. L’un fut attiré par les hommes, l’autre par les femmes. Cela n’a pas empêché Mapplethorpe de photographier des nus féminins et Rodin de modeler de nombreux corps masculins.

Outre leur sensibilité exacerbée, les deux hommes partagent bel et bien quelques traits communs. Tous deux ont appréhendé le corps humain (en le couvrant d’une part d’érotisme). Ils en ont même fait le medium quasi-unique de leur expression. Au-delà de cette évidence, Mapplethorpe et Rodin ont refusé le superflu… De plus, le photographe n’a eu de cesse de sculpter les corps à travers son objectif :  » Je vois les choses comme des sculptures, comme des formes qui occupent un espace.  » Quant au sculpteur, la photographie l’a accompagné tout au long de sa vie.

La confrontation réalisée est surprenante. S’articulant autour de sept thèmes, les rapprochements sont évidents… Certaines oeuvres semblent conçues pour se répondre, comme un effet de négatif/positif. Une exposition – 50 sculptures de Rodin mêlées à une centaine de photographies de Mapplethorpe – qui donne à l’oeuvre de chacun des perspectives nouvelles. Une réussite !

Musée Rodin, à Paris. Jusqu’au 21 septembre. www.musee-rodin.fr

Pierre-Auguste Renoir

La Fondation Pierre Gianadda, à Martigny, rend hommage au plus célèbre portraitiste de ce temps. Au plus charnel aussi. Pleins feux sur cet éternel amoureux de la femme : Pierre-Auguste Renoir (1841-1919).

Le pari de l’exposition actuelle est de réunir le panorama le plus inédit possible… soit des oeuvres rarement exposées. Les toiles proviennent de grands musées internationaux mais aussi de collections privées. Parmi les perles rares, une paire de sujets de fantaisie (Pierrot et Colombine) – oeuvres de jeunesse – qui témoignent de son apprentissage de peintre sur porcelaine et de sa connaissance des sujets galants. Natures mortes et paysages font également partie du voyage… permettant d’embrasser tout l’éventail des sujets traités par cet artiste classé au panthéon des artistes de la modernité.

Fondation Pierre Gianadda, à Martigny (Suisse). Jusqu’au 30 novembre. www.gianadda.ch

Cet obscur objet de désirs. Autour de L’Origine du Monde

N’y a-t-il pas une pointe de provocation à organiser une exposition sur l’érotisme autour de L’Origine du Monde (1866) de Gustave Courbet ? Un tableau sulfureux qui fait régulièrement couler beaucoup d’encre. L’artiste fut un ardent défenseur du Réalisme en peinture et se moquait bien de faire scandale. Aussi fascinant que troublant, ce tableau – gros plan sur l’intimité d’une femme allongée – est considéré par certains comme l’acte de naissance de la pornographie… Commandé par un collectionneur de tableaux érotiques, la toile a très longtemps été conservée à l’écart des regards… entre autres cachée derrière un petit rideau. La partie de cache-cache prend fin en 1995 lorsque la pièce rejoint les collections du Musée d’Orsay, à Paris, qu’elle ne quitte qu’en de très rares circonstances.

Au-delà de l’histoire passionnante et originale de cette oeuvre, l’exposition du musée Courbet, à Ornans, réunit d’autres représentations ou évocations du sexe féminin, de la Renaissance à nos jours. Soit quelque 70 oeuvres – toutes disciplines confondues – de grands noms de l’art (Dürer, Rodin, Ingres, Degas, Masson, Rembrandt…), tous inspirés par cet  » obscur objet de désirs « . L’oeuvre de Courbet se retrouve ainsi entourée de quelques-uns de ses pendants, notamment de la sculpture Iris messagère des Dieux d’Auguste Rodin ou encore de La Coquille, un pastel d’Odilon Redon. Une exposition un tantinet coquine qui ravira tous les amoureux de la nature humaine.

Musée Courbet, à Ornans (France). Du 7 juin au 1er septembre. www.musee-courbet.fr

Par Gwennaëlle Gribaumont

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