Le retour des généraux

La province de Papouasie-Occidentale (ex-Irian Jaya) bascule dans la terreur. L’armée opère une répression féroce et n’hésite plus à assassiner les opposants. Pour les généraux, l’enjeu est double : maintenir l’unité de la nation et exploiter les fabuleuses richesses de la région

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Annexée par l’Indonésie en 1969, la moitié ouest de l’île de Papouasie est colonisée à marche forcée. La montée du sentiment indépendantiste chez les 250 ethnies de cette île aux confins du Pacifique est la conséquence directe de la répression terrible qui sévit en vase clos depuis plus de trente ans : 100000 morts, et une situation de génocide dénoncée par un rapport récemment publié aux Etats-Unis.

La nomination du colonel Silaen au poste de chef de la police de la province résonne comme un avertissement. Cet homme était le chef des forces de l’ordre indonésiennes lors des massacres de 1999 au Timor-Oriental. Dans la foulée, l’arrivée d’Eurico Guterres, chef d’une milice pro-indonésienne qui semait la terreur au Timor, est un nouveau signal inquiétant. Accusé de crimes contre l’humanité, il organise une nouvelle milice avec la complicité des militaires. Une autre milice islamiste liée à Al-Qaida, les Laskar Jihad, opère dans cette province à majorité chrétienne depuis mai dernier : villages incendiés dans les montagnes, assassinats et viols. Tout est en place pour lancer une campagne de déstabilisation et de terreur à l’aube de l’élection présidentielle indonésienne.

Les militaires paraissent de plus en plus maîtres de la situation. Depuis la période d’euphorie des grandes manifestations indépendantistes menées librement lors de l’été 2000 ( LeVif/L’Express du 12 janvier 2001), plus de 1 000 Papous ont été assassinés par l’armée. Chef de file du mouvement revendiquant alors l’indépendance, Theys Eluay disparaît dès le début de la répression. Les soldats qui ont exécuté le vieux leader ont été qualifiés de  » héros  » par le chef d’état-major de l’armée de terre.

En novembre, 10 guérilleros ont été froidement abattus par les troupes de choc. Plus aucun dialogue sérieux n’est en cours entre le gouvernement et le mouvement papou revendiquant pacifiquement le droit à l’autodétermination.

La présidente indonésienne, Megawati, subissant la pression constante de l’armée, refuse d’accorder l’autonomie promise aux Papous par son prédécesseur. Celle-ci, craint son entourage, mènerait tôt ou tard à l’indépendance de ce vaste territoire riche en ressources naturelles. L’or, le cuivre, le pétrole, le gaz naturel et le bois précieux abondent dans cette île aux trésors !

C’est dans ce contexte explosif que le directeur de Forest Watch Indonesia dénonce l’intensification du pillage de la forêt de Papouasie : 600 000 mètres carrés de bois ont quitté illégalement la province en 2002 ! Selon cette ONG, des mafias étrangères coopèrent avec les militaires tout-puissants. Le général Endriartono Sutarto admet que l’armée doit autofinancer son budget colossal à 70 %. L’impérieuse nécessité de rentrées financières considérables conduit manifestement à la violation de la loi.

Les généraux ont tout intérêt à voir des troubles se répandre dans l’île. Le gouvernement sera alors contraint de déclarer l’état d’urgence et de s’attribuer les pleins pouvoirs sur la région menacée. L’avantage est double : les militaires préservent tous leurs privilèges et peuvent se permettre de s’adonner aux trafics les moins avouables sans aucun contrôle.

Face à cette logique implacable et à la spirale de violence qui en découle, la communauté internationale est muette. Les Papous sont désemparés et n’ont pas d’autre choix que de subir une situation qui risque d’évoluer vers un cauchemar à huis clos… l

J. Yani

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