» Le projet du CDH reste d’inspiration chrétienne « 

Sénatrice, secrétaire politique du CDH et échevine à Aywaille, Vanessa Matz s’emploie à démontrer que, non, le centre n’est pas toujours mou. Contre le  » règne du fric « , elle se fait combattante de choc, en rupture avec les valeurs matérialistes qui aveuglent, selon elle, les libéraux autant que les socialistes.

Le Vif/L’Express : Il semble relativement facile de définir le c£ur du projet socialiste, libéral ou écologiste. Par contre, ce qui distingue le centrisme ou l’humanisme des autres courants de pensée apparaît assez flou…

Vanessa Matz : Le centre est une philosophie qui, justement, ne se définit pas par opposition à d’autres idéologies. On a souvent dit que le centre était un espace de compromis. Je dirais plutôt un espace de synthèse, entre les exigences de solidarité, d’une part, et de responsabilité, d’autre part. Mais j’admets qu’il est toujours difficile d’expliquer le projet centriste. Parce qu’il est tout en nuances et qu’il correspond souvent à un point d’équilibre.

Comment atteindre cet équilibre entre solidarité et responsabilité ?

L’un et l’autre ne sont pas contradictoires. Certains courants politiques se réfèrent aux individus. Nous préférons parler d’humains, de personnes. L’humain, pour nous, se définit dans sa relation aux autres, dans des relations collectives, et l’Etat doit jouer un rôle de norme pour réguler ces relations. C’est la théorie, ça. La traduction politique, c’est plus compliqué. Par le passé, on s’est souvent moqué du centre mou, qui allait un coup à gauche, un coup à droite.

Cela correspondait à une réalité politique. De 1945 à 1999, grosso modo, le Parti social-chrétien (PSC) a souvent joué un rôle de pivot, faisant pencher les coalitions vers la gauche ou vers la droite, selon qu’il privilégiait une alliance avec les socialistes ou avec les libéraux.

Mais le centre, ce n’est pas seulement la jonction de différents intérêts. Je reconnais que c’est difficile à expliquer. Notre spécificité apparaît plus clairement dans certains dossiers que dans d’autres. Je pense aux questions qui concernent l’éthique, les familles, mais aussi la crise économique et le pouvoir grandissant laissé à la finance.

S’agit-il vraiment d’une spécificité de la doctrine centriste ? Tout le monde dénonce aujourd’hui les excès de la finance.

Oui, mais traiter la crise financière à coups de slogans, c’est réducteur.

Le PS se rend-il coupable de simplification à outrance quand il dénonce une  » crise libérale  » ?

C’est réducteur. Je préfère parler de crise néolibérale ou ultralibérale. En soi, le libéralisme n’est pas un démon qu’il faut combattre. Il a aussi favorisé les échanges, ce qui a permis à nos sociétés de se développer. Mais, trop souvent, j’ai entendu des libéraux dire : attention, il ne faut pas prendre des mesures légales pour limiter les bonus des dirigeants d’entreprise, sinon ils vont partir à Londres. Or ce qui justifie que le monde politique régule certaines rémunérations, c’est notamment leur caractère indécent. On est dans un débat éthique. Il ne s’agit pas de condamner tous ceux qui gagnent de l’argent, mais ceux qui, par leur attitude, ont mis tout un système en danger. Certains ont vraiment été à deux doigts de provoquer la faillite de toute notre société… Les politiques se sont laissé déposséder des questions financières, parce qu’elles leur semblaient trop compliquées et qu’il était commode de les abandonner aux experts. Je fais partie de celles qui ont envie de se les réapproprier.

Que reprochez-vous au monde financier ?

La finance est nécessaire pour réaliser certaines transactions. Mais, ces dernières années, elle n’a plus du tout été au service de l’économie. Au contraire, l’économie a été utilisée au service de la finance. Il faut maintenant dresser la finance. La remettre dans son lit, comme un fleuve qui aurait débordé et pris trop de place. C’est pour moi notre mission prioritaire, en tant que responsables politiques. Parce que, maintenant, on assiste à une marchandisation de tout, du sport, du sexe, de la culture. Cela me fait froid dans le dos.

Céline Frémault, chef de groupe CDH au parlement bruxellois, a récemment présenté un plan antiprostitution, qui n’exclut pas de pénaliser le client, comme cela se fait en Suède. Cela découle-t-il de votre philosophie selon laquelle, non, tout ne peut pas se vendre ?

Bien sûr. Nous combattons cette idée que tout s’achète, que tout s’échange, que tout se vend. En légitimant la prostitution, quel signal donne-t-on aux jeunes ? Ce n’est pas être ringard que de poser cette question-là. Avec Céline Frémault, nous avons reçu très longuement une avocate suédoise qui a participé à l’évaluation de la loi pénalisant le client. C’était extrêmement éclairant. Contrairement à ce qu’affirment certains, ce type de mesures ne provoque pas une augmentation des viols.

La Ville de Liège envisage la création d’un  » Eros center  » sur son territoire, ce qui permettrait de donner plus de sécurité aux prostituées. Vous êtes contre ?

Je pense qu’en autorisant ça on permet une marchandisation du corps, on donne une légitimité à une forme de violence faite aux femmes. Car la prostitution reste une violence ! Sur cette question-là, nous sommes assez radicaux [sourire]. Mais je ne peux pas m’empêcher d’être choquée par une proposition de loi comme celle déposée, il y a peu, par les socialistes flamands : en caricaturant à peine, elle considérait les macs comme des entrepreneurs qu’il faut protéger. Sur la prostitution, nous avons en effet une position très claire, qui découle de notre doctrine. C’est à la fois une question de refus de la marchandisation et de dignité des personnes. Ma dignité individuelle doit être compatible avec la dignité des autres. Pour nous, l’être humain doit constamment s’interroger sur sa place par rapport au reste de la société.

C’est un discours très chrétien, ça.

Mais bien sûr ! Le projet CDH, il est d’inspiration chrétienne. Mais tout le défi de la transition du PSC vers le CDH, c’était justement de dire que ces valeurs sont universelles.

Quelles sont ces valeurs que vous revendiquez ?

Des valeurs de respect, de fraternité, de dignité. Ce sont bien sûr des valeurs inspirées des Evangiles et de la tradition chrétienne. Lors du congrès qui a officialisé le changement de nom du parti, Raymond Langendries a dit ceci :  » Il ne s’agit pas de changer de chemin, mais d’élargir le chemin pour permettre à d’autres compagnons de cheminer avec nous.  » A l’époque, cela avait eu un effet terrible dans la salle. Cette phrase montre bien que le CDH se situe toujours dans la lignée de la démocratie-chrétienne.

Voilà bien une attitude centriste : abandonner la référence chrétienne d’un côté, mais maintenir que le parti s’inscrit dans la doctrine démocrate-chrétienne de l’autre.

Ce n’est pas antinomique. Nous avons abandonné la référence chrétienne dans notre sigle pour que plus de personnes puissent rejoindre nos valeurs. Et ces valeurs, elles sont terriblement d’actualité. En période de crise économique, chacun se replie sur ses intérêts. La société favorise l’individualisme, le racisme, l’exclusion, le nationalisme. Face à tout ça, face au règne du fric, notre position centriste-humaniste s’avère encore plus difficile à tenir.

Dans son livre Le Bel Avenir du socialisme, Paul Magnette soutient que le libéralisme et le socialisme sont  » deux cousins d’une même famille doctrinale de la pensée politique moderne « . Comment situez-vous la démocratie-chrétienne par rapport à ces deux cousins ?

Je pense que socialistes et libéraux se rejoignent dans la dimension matérialiste, avec laquelle nous sommes en rupture. Nous refusons de réduire le rôle de l’Etat à la gestion des questions matérielles de l’existence. Pour nous, il ne peut y avoir de société sans l’affirmation de valeurs éthiques collectives et la construction d’une identité commune.

Avant de devenir le président du CD&V, Wouter Beke était déjà l’idéologue attitré des chrétiens-démocrates flamands. Son essai De mythe van het vrije ik (Le mythe du moi libre) est une charge implacable contre l’individualisme à tous crins. Vous partagez sa thèse selon laquelle les deux gouvernements de Guy Verhofstadt ont été synonymes de laxisme à tous les étages ?

Sous le gouvernement arc-en-ciel, entre 1999 et 2007, il y a effectivement eu une sorte de chasse aux sorcières. Certains se sont dit : les cathos sont dehors, allons-y ! Sur la question de l’euthanasie, on a vu l’individualisme à l’excès. Des discours du style : décider de mourir, et à quel moment, cela relève du libre arbitre de chaque individu. Cela allait de pair avec une apologie de la liberté sans limites : chacun est maître de son destin, de sa vie. Mais notre vie, elle existe aussi, et surtout à travers nos relations avec les autres.

Sur le principe, vous restez opposée à l’euthanasie ?

La loi a intégré un certain nombre de verrous, de garde-fous. Tant mieux. Néanmoins, certaines nuances devraient encore y être apportées. Il y a toujours cette ambiguïté : je peux demander l’euthanasie parce que je suis en fin de vie ou parce que je ne suis pas soignable ? Le débat n’est pas clos. Je parie qu’il reviendra sur la table au moment de la formation du gouvernement, notamment à travers la question d’autoriser l’euthanasie pour les enfants.

Imaginons que, demain, vous êtes Première ministre…

Non, je ne vais pas abroger cette loi. Mais je développerai davantage l’accompagnement des personnes en fin de vie. Même chose concernant l’avortement : je ne vais pas remettre en cause la loi.

Contrairement au CDH, le CD&V maintient la référence chrétienne dans son sigle. Révélateur du divorce ?

Non. Sur le plan socio-économique et doctrinal, nous partageons encore beaucoup. Avec une nuance : le CDH est plus progressiste. On a davantage ouvert les volets. Attention, au CD&V, différentes tendances cohabitent : des tendances plus conservatrices et plus libérales, et des tendances plus progressistes, dont nous sommes extrêmement proches.

Le sénateur CD&V Peter Van Rompuy, fils du président du Conseil européen, a mis sur son blog un graphique qui présente l’évolution du Produit intérieur brut et de l’impression de bonheur aux Etats-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Entre 1945 et 1961, les deux courbes grimpent de façon parallèle. Ensuite, un décrochage se produit : l’économie poursuit sa croissance, mais les gens sont de moins en moins heureux. Le même constat peut être observé dans l’ensemble des pays occidentaux.  » Tout responsable politique de ma génération devrait toujours avoir ce graphique dans sa poche « , écrit Peter Van Rompuy.

Tous les sondages confirment que les valeurs privilégiées par les citoyens, ce sont avant tout la famille et l’amitié, et non pas la richesse. Le premier lieu d’épanouissement des relations sociales, c’est la famille, au sens large. Cela inclut les proches, les amis, les relations vraies que l’on peut avoir avec d’autres personnes. Quitte à être neuneu, je vais ajouter une autre valeur primordiale à mes yeux : la fraternité. N’est-on pas plus heureux en donnant qu’en recevant ? Il faut oser poser la question. A ce sujet, il y a une phrase très forte de Sartre, dont l’£uvre ne peut se résumer à une série de provocations envers l’establishment :  » On est possédé par ce que l’on possède.  » On sent une aspiration très forte des gens à autre chose. Ils en ont marre qu’on leur parle de fric, de performances, de posséder toujours plus. Toutes les enquêtes que nous avons faites, au CDH, le montrent. Mais cela ne se traduit pas toujours sur le plan électoral. C’est bizarre. C’est assez sidérant, même.

ENTRETIEN : FRANÇOIS BRABANT

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