Le procès dans le procès

Les tensions qui ont jalonné l’enquête ont été portées à leur paroxysme au procès d’Arlon. Entre les parties civiles, l’accusation et le juge d’instruction, la thèse des réseaux continue à empoisonner l’atmosphère

Hallucinante journée du lundi 15 mars, au début de la troisième semaine du procès d’Arlon. Grande nouvelle : Marc Dutroux s’installe. De sa voix nonchalante, il délivre les bons et les mauvais points avec un à-propos sidérant. Michelle Martin continue de parler de  » sa maman à Waterloo « , de  » son petit garçon « , de  » sa petite fille « , avec toutes les apparences de la plus grande sensibilité, sans s’écarter, c’est plus prudent, de ses déclarations antérieures. Le président de la cour d’assises, Stéphane Goux, révèle ses aptitudes au contre-pied, passant de ses soucis d’hôte (la température vous convient-elle ?) à des questions qui vont faire entrer dans la salle d’audience des odeurs de seaux hygiéniques et de corps en putréfaction. C’en sera trop pour Laetitia Delhez, assise filialement entre Louisa et Jean-Denis Lejeune. Elle s’enfuira en pleurs. Le juge d’instruction Jacques Langlois s’agite, tel un taureau agacé par les mouches. Ce n’est qu’un début. Le harcèlement par Mes Jan Fermon et Georges-Henri Beauthier à propos du rôle criminel joué, selon eux, par Michel Nihoul dans l’enlèvement de leur cliente, Laetitia Delhez, ira crescendo.  » On fait le procès du juge d’instruction « , s’exclame Langlois. Indifférent au (vrai) bourreau de sa fille, Jean-Denis Lejeune n’en a que pour le juge. Il est venu pour ça : montrer, au travers de quelques questions, posées sur un ton doux, que Jacques Langlois  » ne mérite pas l’honneur qui lui est fait « , qu' » une autre version  » des faits est possible, que le juge ne présente qu’une  » thèse « , comme il l’expliquera, le soir, aux médias. Depuis sept ans, Jacques Langlois entend ces choses. Ce besoin qu’ont les parents de Julie et de Melissa de croire que l’enlèvement de leurs filles a été prémédité. Avec ses policiers, Langlois a travaillé comme un malade pour construire un dossier solide, vérifiant toutes les hypothèses avec un soin maniaque, pensant peut-être, naïvement, qu’avec des faits il nettoierait la plaie. Il lui a fallu se blinder contre les attaques mais, ce lundi, le  » cuir  » l’empêche peut-être de réagir avec empathie.

Pourtant, la journée avait plutôt bien commencé. Dans la continuation de son long exposé de la semaine précédente, le juge étudie la prévention d’association de malfaiteurs, qui vaut notamment à Michel Nihoul de se retrouver sur le banc des accusés, en qualité de chef de bande. Quel rôle ont joué les 1 000 pilules d’ecstasy remises par le Bruxellois à Michel Lelièvre, le 10 août 1996, au lendemain de l’enlèvement de Laetitia Delhez ? Elles proviennent d’un lot de 5 000 que Nihoul a soustrait au trafiquant britannique David Walsh, qu’il a balancé aux gendarmes de Dinant. En juin 1996, Nihoul demande à Michel Lelièvre de les écouler pour son compte. Dutroux intervient dans la première transaction, en avançant à Lelièvre 10 000 francs en guise de garantie pour un lot de 100 pilules. Ensuite, il sera tenu à l’écart de ce petit commerce relativement peu lucratif – Leliève en a retiré 18 000 francs de bénéfice -,  » tracé « , pour l’essentiel, par les enquêteurs. Conclusion du juge Langlois :  » L’enquête n’a pas permis d’établir un lien entre le trafic de stupéfiants et les faits d’enlèvement.  » Idem pour les mouvements d’argent des accusés, passés au peigne fin :  » On n’a pas pu conclure à un lien avec les faits d’enlèvement.  » Rien, non plus, en relation avec un trafic de médicaments : la quasi-totalité des somnifères et antidépresseurs utilisés par Marc Dutroux pour endormir et effacer les souvenirs de ses victimes ont été prescrits aveuglément par le Dr Dumont, aujourd’hui décédé. Encore rien à tirer des cassettes vidéo et des photos saisies, hormis le filmage du viol des victimes slovaques du ferrailleur. Implacable, le juge continue à faire tomber les préventions d’association de malfaiteurs, non établies à ses yeux, à propos du trafic d’êtres humains ou de documents falsifiés. Le trafic de voitures découvert en début d’enquête a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Nivelles, Dutroux y jouant un rôle marginal, sans rapport avec les faits d’enlèvement et de séquestration d’enfants. Ensuite, il élimine, explications complètes à l’appui, les 14  » pièces  » (appelées  » pistes périphériques « ) qui n’entrent pas dans le  » puzzle  » de son enquête : fouilles de Jumet, perquisitions à l’ASBL Abrasax, société ASCO, bar Saint-Moritz, hôtel Brazil de Blankenberge, Fiesta rouge, témoignage de Guy Lieutenant, piste Féret… Il explique les raisons pour lesquelles il a refusé – il y a ensuite été contraint par la chambre des mises en accusation de Liège – de faire analyser 4 000 cheveux recueillis dans la cache et les voitures de Dutroux. Dont coût total à prévoir : 75 millions de francs, alors que, regrette-t-il, à cause de leur caractère volatil et des habitudes de Dutroux (il pillait les collectes de vieux vêtements), les cheveux ne présentent pas un grand intérêt. Le dossier bis a été créé pour donner à leur analyse complète – dans huit ans ? -, une issue judiciaire. Les journées suivantes ont montré que le besoin d’investiguer, encore et toujours, ne serait peut-être jamais assouvi.

Marie-Cécile Royen

Le dossier bis a été ouvert pour donner une issue judiciaire à l’analyse des cheveux

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