Le pouvoir jalousement gardé de Monsieur Moureaux

Sur le papier, les titres de Philippe Moureaux restent impressionnants : n° 2 du PS, président de la fédération socialiste bruxelloise, doyen de la politique belge. Mais quelle influence détient-il encore ?

La moustache revient à la mode, paraît-il. Cela tombe bien : Philippe Moureaux ne s’en est jamais séparé. A 70 ans, le socialiste est non seulement le plus âgé, mais aussi le plus expérimenté de tous les ténors politiques encore en lice. Même l’ex-Premier ministre Jean-Luc Dehaene (CD&V), peut-être l’homme avec qui il a entretenu la plus grande connivence au cours de sa carrière, affiche quelques mois de moins au compteur.

Philippe Moureaux aurait pu se recycler dans un rôle de vieux sage. Le patriarche rangé des bécanes, qu’on écoute d’une oreille distraite, mais dont les conseils sont parfois bons à prendre. Seulement voilà, il est taillé pour l’action. Que deviendrait-il à l’écart des grandes man£uvres politiques ? On l’imagine dépérir… Non content de rester le maître de Molenbeek et le lider maximo de la fédération socialiste bruxelloise, il reste l’une des voix les plus influentes du PS, l’une des personnes clés aux côtés d’Elio Di Rupo.

Un coup d’avance

Son bilan, d’abord, parle pour lui. Depuis la création de la Région de Bruxelles-Capitale, en 1989, il a amené le PS dans toutes les majorités. Y compris en 1999, alors que les socialistes avaient essuyé une défaite cuisante (18,7 %). Sous son règne, le PS a conquis de nouveaux sommets, réalisant en 2004 le meilleur score de son histoire à Bruxelles : 33,4 %.

Et puis, l’ex-ministre aux multiples casquettes (Intérieur, Justice, Réformes institutionnelles, Affaires sociales…) peut encore rendre service. Il a participé à toutes les réformes de l’Etat depuis trente ans. Rompu aux longues nuits de palabres, il possède souvent un coup d’avance sur ses adversaires. Cette expérience le rend incontournable.  » Personne, au parti, n’imaginerait s’engager dans les prochaines négociations institutionnelles en se passant de Philippe Moureaux « , confie un élu bien introduit au Boulevard de l’Empereur.

Directeur de l’Institut Emile Vandervelde (le centre d’études du PS) de 1974 à 1977, puis chef de cabinet d’André Cools, Philippe Moureaux a grandi dans l’ombre du maître de Flémalle. Il n’a jamais été élu lorsque son mentor le nomme ministre de l’Intérieur, en 1980. Il ne deviendra député qu’en 1981 et conseiller communal qu’en 1983. Ses ennemis historiques – Guy Spitaels, Jean-Claude Van Cauwenberghe, José Happart, Jean-Maurice Dehousse – se sont effacés les uns après les autres au fil du temps. Lui conserve jalousement son titre de vice-président du PS. Mais il n’a pu empêcher une certaine lassitude de s’installer à son égard.  » Au bureau du parti, il donne son avis sur tout et sur rien. Pour s’assurer qu’on ne l’oublie pas, sans doute. A la longue, ça devient un peu lourd « , soupire une figure du PS carolo.

Une relation ambiguë

Sa relation avec l’actuel président du parti, Elio Di Rupo, est ambiguë. Les deux hommes ont mis du temps à se trouver : au début des années 1990, Moureaux, fidèle à ses canevas de pensée marxiste, considère d’un £il suspicieux l’ascension du Montois, son goût des paillettes, sa proximité idéologique avec Tony Blair. Lorsque Philippe Busquin quitte la tête du PS, en 1999, Philippe Moureaux, qui a renoncé à ses ambitions présidentielles, soutient pourtant Elio Di Rupo. Mais, une fois ce dernier élu, il ne le ménage pas. Lors du 1er Mai 2000, Laurette Onkelinx, tout juste nommée vice-Première ministre, plaide pour le passage aux 35 heures. Elio Di Rupo digère mal de se voir voler la vedette. Dans l’entourage du président, certains voient l’ombre de Moureaux derrière la sortie de Laurette Onkelinx, issue elle aussi du clan coolsien. La suite sera plus apaisée. Elio Di Rupo peut compter sur le soutien loyal du  » ticket  » Onkelinx-Moureaux, devenu peu à peu l’un de ses points d’appui les plus fiables – notamment lors des  » affaires « , au moment d’écarter Jean-Claude Van Cauwenberghe ou Anne-Marie Lizin.

Bien plus qu’une énième plume à son chapeau, la présidence de la fédération socialiste bruxelloise est aujourd’hui le socle du pouvoir de Philippe Moureaux. L’homme a imposé l’idée que son fief ne devait pas être considéré comme une fédération parmi d’autres (le PS en compte 14), mais bien comme l’aile bruxelloise du parti, sur pied d’égalité avec l’aile wallonne. Sa fédération est la seule dont les limites géographiques correspondent à celles d’une Région, ce qui lui confère un pouvoir énorme : c’est lui qui nomme les ministres du gouvernement bruxellois, ainsi que leurs chefs de cabinet. Elio Di Rupo lui-même a dû s’incliner face à certains choix de Philippe Moureaux, qu’il estimait peu judicieux – notamment celui de Françoise Dupuis comme secrétaire d’Etat au Logement, en 2004.

Dans sa fédération,  » Flupke Moustache  » possède les coudées d’autant plus franches que Charles Picqué a toujours rechigné à s’investir dans les luttes d’appareil. Les deux ténors du PS bruxellois ont préféré négocier une paix des braves plutôt que de se dévorer entre eux. Résultat : Charles Picqué s’est concentré sur son mandat de ministre-président de la Région bruxelloise, sans jamais manigancer de tentative de putsch. Moureaux sait d’ailleurs comment s’y prendre pour cadenasser son pouvoir. La section d’Anderlecht totalise le plus grand nombre d’affiliés ? Il s’assure du soutien d’Eric Tomas, l’homme fort du PS local, en le propulsant ministre, puis président du parlement bruxellois.

 » Quand on a l’esprit embrouillé, pris par l’urgence, et qu’on a entendu Philippe Moureaux dans un congrès, on en sort reboosté, indique la députée bruxelloise Fatiha Saïdi. C’est quelqu’un qui donne du sens à la politique. Il nous replonge dans les racines du socialisme. C’est ce rôle d’idéologue qui nous manquera quand il partira. « 

Sa succession ? Pas prête. Philippe Moureaux aime adouber les jeunes talents, autant qu’il s’en méfie. La députée fédérale Karine Lalieux, bosseuse mais pas assez alignée à son goût, en a fait les frais. Tout comme Fadila Laanan. Protégée d’Elio Di Rupo, l’actuelle ministre de la Culture a longtemps subi le dédain de Philippe Moureaux. Jusqu’à ce que ses bons scores électoraux la rendent incontournable. La morale de l’histoire, tirée par un ténor socialiste :  » Si on veut montrer un brin d’indépendance par rapport à Moureaux, il faut s’imposer par le rapport de force. « 

François Brabant

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