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Jean Faniel: « Rendre valables les votes blancs ou nuls, c’est possible »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Rendre valables les votes blancs ou nuls? Pour Jean Faniel, directeur général du Crisp, cela paraît une bonne idée car ce serait un signal envers les politiques et les déçus du système.

Le contexte

Aucun système électoral n’est tout à fait proportionnel. C’est mathématique, il y a toujours des «voix perdues» qui ne permettent pas à une liste d’obtenir un siège supplémentaire. En Belgique, on a limité ce «gaspillage» en utilisant une clé de répartition des sièges: la clé D’Hondt, selon laquelle le nombre de voix obtenues par chaque liste est divisé successivement par 1, 2, 3, etc., ce qui donne des quotients par ordre décroissant jusqu’à concurrence du nombre de sièges à pourvoir. Mais aux communales, on utilise la clé Imperiali dont le premier diviseur est 2, ce qui favorise les listes ayant le plus de voix. Un citoyen de Rebecq, Dominique Parein, qui a suivi le cursus inter-universités en démocratie participative, a déposé une pétition au parlement de Wallonie pour abolir ce système et tenir enfin compte des votes non valables (blancs, nuls…) en leur attribuant des sièges vides. Un beau débat pour nos élus?

Pourquoi, aux élections communales, utilise-t-on la clé Imperiali, qui privilégie les listes qui font le plus de voix, et non la clé D’Hondt, comme pour les autres scrutins?

C’était visiblement – et ce l’est toujours – pour obtenir des majorités qui se dégagent plus facilement. Le scrutin communal reste proportionnel, mais avec une petite dose de scrutin majoritaire due au système Imperiali car celui-ci favorise davantage que la clé D’Hondt les listes qui réalisent les meilleurs scores. Cela remonte à la fin du XIXe siècle, lorsque les deux principaux partis, libéral et catholique, voulaient restreindre la montée des radicaux, en l’occurrence le POB, l’ancêtre du Parti socialiste, qui est venu perturber le jeu à deux des libéraux et des catholiques. Mais c’est une constante en Belgique: les partis au pouvoir ont souvent imaginé des règles qui ont défavorisé les partis émergents, comme le seuil électoral qui fixe à 5% le minimum de voix nécessaires pour obtenir un siège.

Les partis au pouvoir ont souvent imaginé des règles qui ont défavorisé les partis émergents.

La méthode Imperiali aboutit parfois à des situations surprenantes où la majorité des sièges est attribuée à un parti qui est loin de recueillir la majorité des voix…

Tout à fait. Aux dernières élections communales, en 2018, on a relevé deux cas extrêmes: celui de Seraing, où le PS a sauvé sa majorité absolue d’un seul siège en ayant à peine 42,7% de votes valables, et celui de Wavre, où la liste du bourgmestre a obtenu la majorité des sièges avec un score encore plus bas, de 40,6% des suffrages. Cela reste exceptionnel. Il arrive plus fréquemment qu’avec 45% ou 47%, une liste obtienne une majorité de sièges, surtout si on est en présence de beaucoup de listes.

Une pétition déposée au parlement de Wallonie pour supprimer la clé Imperiali fait le calcul en comptant tous les votes, valables et non valables. On en arrive alors à des majorités avec moins d’un tiers des voix. Est-ce démocratique?

Faire le calcul en regardant la totalité des électeurs inscrits est évidemment différent et sans doute plus discutable. Démocratique ou pas? C’est l’éternelle question. Au Royaume-Uni, le scrutin majoritaire uninominal à un tour a permis au Parti conservateur de remporter la majorité absolue aux Communes avec 43,6% des voix, compte non tenu des nombreuses abstentions. En Israël, on applique la proportionnelle intégrale pour élire les 120 députés de la Knesset: avec un 120e des voix, un candidat aura un siège. Mais voyez la difficulté d’y avoir une majorité stable. Voilà donc deux systèmes électoraux extrêmes. Or, les deux pays sont considérés comme de vraies démocraties sur le plan électoral.

Jean Faniel, directeur général du Crisp.
Jean Faniel, directeur général du Crisp. © belga image

La communauté germanophone a, de son côté, opté pour la clé D’Hondt aux dernières communales. Pourquoi?

En 2018, la Communauté germanophone a, pour la première fois, organisé elle-même les élections communales, les compétences en la matière lui ayant été transférées de la Région wallonne quatre ans plus tôt. Et elle a préféré la clé D’Hondt au mécanisme Imperiali. Au parlement germanophone, la ministre Isabelle Weykmans avait justifié ce choix comme suit: «La répartition des sièges dans nos conseils communaux reflétera mieux le poids de chacun des partis à l’avenir. Cela signifie que les petites listes ont plus de chances d’entrer au conseil communal. L’introduction du système D’Hondt tient mieux compte de la volonté de l’électorat.» C’est explicite.

La pétition au parlement de Wallonie suggère que les sièges que représentent les votes blancs, nuls ou les non-votants soient laissés vides. Imaginable?

Ce sont des idées qui circulent, comme celle aussi de tirer au sort l’attribution de ces sièges parmi des citoyens pour y siéger. Un système représentatif ne doit pas rester figé. Il doit évoluer, notamment en fonction des changements de la société. Les deux derniers exemples de changement des règles: la fusion des deux circonscriptions de la province de Luxembourg pour que l’apparentement, qui empêchait un parti comme Ecolo d’obtenir un siège, y soit automatiquement abandonné, et l’abandon de la clé Imperiali par les germanophones. Ce sont des améliorations fines et techniques mais qui peuvent avoir une incidence non négligeable sur la répartition des sièges. En Flandre, le vote ne sera plus obligatoire aux prochaines communales. C’est aussi une fameuse évolution, mais qu’on peut trouver négative car elle contribuera à augmenter le taux d’abstention.

Rendre valables les votes blancs ou nuls, c’est possible?

Oui, bien sûr. Je ne sais pas si cela existe dans un autre pays démocratique. Cela aurait un effet de signal intéressant car on prendrait en compte qu’il y a de plus en plus de votes blancs, nuls ou des absents. Un double signal même, à la fois envers les déçus du système et envers le monde politique, qui doit trouver une réponse à l’abstentionnisme grimpant. Mais, sur le plan pratique, il faudrait s’accorder sur le mode de calcul de la majorité dans l’assemblée. Celle-ci serait-elle calculée sur le nombre de sièges occupés ou sur le nombre total de sièges, occupés ou non? Dans le second cas, sur 25 sièges, par exemple, si dix sont laissés vides, la majorité s’établirait à partir de huit sièges. Cela devient problématique pour la représentativité… Faudrait-il alors établir un seuil en dessous duquel on convoquerait de nouvelles élections? Ce n’est donc pas si simple.

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