Le nouveau chemin de croix de Joëlle

A peine un chantier s’achève-t-il qu’un autre s’ouvre. La présidente du CDH ne sait plus où donner de la tête. Ses nouveaux défis ? Modifier l’image de son parti, que l’on dit  » scotché  » au PS. Et éviter de perdre son aura de  » résistante  » face aux Flamands.

Joëlle Milquet (46 ans), c’est Sisyphe rue des Deux-Eglises, au siège du CDH. Comme le héros de la mythologie grecque aux Enfers, la présidente des humanistes semble condamnée à pousser éternellement, sur la pente d’une montagne, un immense rocher qui redescendait toujours avant d’atteindre le sommet. Jugez un peu. Il y a six mois, elle vivait un calvaire : obligée de négocier un gouvernement orange bleu dont elle ne voulait pas. Elle s’en est bien sortie : voici quelques semaines à peine, il n’y en avait que pour elle, pour cette  » Madame Non  » déterminée, capable de tenir tête aux Flamands comme au MR. Aujourd’hui, la revoici hésitante, torturée, inquiète. Les raisons de ses insomnies ? Le choix douloureux qu’elle devra faire, tout prochainement, entre la présidence du CDH et la charge de vice-Première ministre du gouvernement fédéral  » définitif  » qui s’installera le 20 mars. Et, au-delà, l’obligation, pour son parti, d’afficher davantage ses différences avec le parti socialiste. Car, dans les maisons communales, au parlement wallon, au parlement fédéral, un peu partout, donc, les mécontents s’épanchent. Les élus sont nombreux à reprocher à Milquet des erreurs de stratégie, à craindre les effets électoraux d’une trop grande complicité entre le CDH et le PS, celle-là même qui aurait valu à leur parti des résultats décevants, en Wallonie, aux dernières élections législatives. Beaucoup, aussi, rappellent avec irritation leur attachement au centre –  » pas un centre mou, mais une position qui fédère et permet les compromis équilibrés  » – et n’apprécient guère de se sentir ainsi déportés vers la gauche.

L’électorat de droite a préféré le MR

Depuis les  » affaires « , celles qui ont bouleversé Charleroi, tourneboulé le PS, l’allié du CDH en Wallonie, à Bruxelles et à la Communauté française, les barons locaux tressaillent à chaque allusion perfide de Reynders au  » cartel PS-CDH « . Les candidats classés  » à droite  » du parti, ceux qui sont censés rassurer les électeurs  » traditionnels  » et prudents, savent bien que cette proximité les a empêchés de réaliser les scores escomptés en juin 2007. André Antoine, Melchior Wathelet Jr, Raymond Langendries, Benoît Cerexhe : aucun de ces  » droitiers  » n’a remporté la mise au dernier scrutin fédéral.  » La preuve que l’électorat conservateur a préféré le MR « , juge un député-bourgmestre dépité. Didier Reynders, président du MR, a bien saisi tout le profit qu’il pouvait tirer de cet  » axe  » socialiste-humaniste : en visant l’un, il a blessé l’autre, par ricochet.

Certes, on l’a dit, Milquet a pris du galon durant les six mois de crise politique qui ont suivi les élections. De ces négociations chahutées, elle est sortie harassée, mais auréolée de gloire. Mais, pour la présidente du CDH, le bonheur est toujours de courte durée. Ces derniers temps, Reynders la matraque de plus belle. Retape sur le clou du  » cartel PS-CDH « , explique même à qui veut l’entendre que Milquet serait prête, désormais, à pactiser avec l' » ennemi  » flamand, dans le seul but de l’évincer, lui, Reynders, du poste tant convoité de Premier ministre. C’est particulièrement gonflé, de la part de celui qui n’a jamais hésité à vanter  » l’esprit de famille  » libéral et les vertus de son ami Guy Verhofstadt, lorsqu’il rêvait encore de lui succéder à la tête du gouvernement, pourtant promis à Yves Leterme. Pour ceux qui en douteraient encore, la campagne électorale en vue du scrutin régional de 2009 est bel et bien lancée, et elle se déroulera à coups de boules puantes.

Les barons locaux rongent leur frein

Voici donc Milquet contrainte à relever un nouveau défi. Si elle veut éviter une déconfiture électorale en 2009, elle devra réussir à modifier l’image de son parti. Elle doit, pour faire bref, prouver aux électeurs échaudés que le CDH n’est pas aussi  » scotché  » au PS que se plaît à faire accroire le MR. Simple ? Pas du tout. Car les relations avec les socialistes sont objectivement bonnes : ensemble aux affaires régionales et communautaires, humanistes et socialistes se respectent, rivalisent à la loyale. Pas facile, dans ce contexte, de se rentrer dans le lard, de prendre ses distances vis-à-vis d’un partenaire respecté, avec lequel on se sent d’autant plus proche que Reynders fédère, sur sa personne, toutes les inimitiés.

Les barons locaux, ceux qui règnent sur les campagnes et attirent un électorat plus  » traditionnel  » que celui des villes, rongent leur frein en silence (et en toute discrétion) et s’inquiètent de l’avenir. Car, pour eux, il ne fait aucun doute que le programme du CDH se réaliserait avec davantage d’efficacité dans le cadre d’une alliance de centre-droite que de centre-gauche. Aucun doute, non plus, que la Wallonie aurait tout à gagner si le PS valsait dans l’opposition, le temps d’assainir ses pratiques en profondeur. En vieux routiers de la politique, ils savent aussi que le PS est capable de tous les revirements pour conserver le pouvoir. Et qu’il serait sot, en somme, de capitaliser sur ce  » partenaire  » pour augmenter les chances de longévité du CDH au pouvoir.

 » La coalition idéale, dans le sud du pays comme à l’échelon fédéral, serait un gouvernement CDH-MR, assène un élu de poids. Exception faite de Reynders, qui entretient des relations exécrables avec tout le monde, les responsables libéraux sont des gens avec lesquels il y a moyen de parler en bonne intelligence et qui peuvent vraiment contribuer à la modernisation de la Wallonie et de l’Etat belge. Si, au lendemain des élections de juin, vous aviez mis Joëlle et Charles Michel autour d’une même table, ces deux-là auraient pu trouver un accord. C’est avec Reynders, et avec lui seul, qu’il est impossible de s’entendre.  » Un autre affirme :  » Le rôle d’un président de parti, c’est de créer les conditions permettant à sa formation politique de s’allier avec le meilleur partenaire possible. Milquet et Reynders font tout le contraire. La politique qu’ils pratiquent est commandée par leurs relations personnelles. C’est déplorable. « 

Lorsqu’on prend le pouls des mandataires, au-delà de la garde rapprochée de Milquet, beaucoup d’humanistes sont d’accord là-dessus. Pour rendre possible le scénario d’une majorité MR-CDH qu’ils appellent de leurs v£ux, il faudrait que Milquet et Reynders transcendent leur haine réciproque.  » Le salut de la Wallonie en dépend, concluent-ils, celui du CDH également.  » Autant demander la lune…

Isabelle Philippon

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