Carlos Desmet, spécialiste en responsabilité sociale des entreprises et en éthique des affaires (UCLouvain). © DR

« Le monde de l’entreprise ne doit pas craindre la perspective de poursuites »

Carlos Desmet (Louvain School of Management – UCLouvain), spécialiste en responsabilité sociale des entreprises et en éthique des affaires, ex-cadre de Shell International, croit davantage à l’efficacité d’autres législations environnementales qu’à la pénalisation du crime d’écocide.

Inclure le crime d’écocide dans l’arsenal juridique international et le droit pénal belge: la Belgique serait-elle bien inspirée d’être pionnière en la matière?

Il ne s’agit pas d’une mauvaise idée et elle mérite d’être examinée. Mais elle relève avant tout d’un signal qui peut contribuer à conscientiser les populations en faisant reconnaître la nécessité de préserver l’environnement au même titre que l’être humain. En revanche, il ne faut pas s’attendre à ce que cette démarche change la vie des entreprises ou soit de nature à réellement affecter leur responsabilité sociétale.

L’écocide érigé au rang de crime contre l’humanité passible de la Cour pénale internationale: l’accusation est grave. A quelles conditions pourrait-elle être réellement fondée?

A la différence d’un génocide et de la volonté délibérée de faire disparaître un peuple ou une race entière, l’intention véritablement malveillante me paraîtra difficile à prouver dans le cas d’un crime d’écocide. Les cas assimilés à des écocides cités par les parlementaires à l’appui de leur proposition de résolution (NDLR: Monsanto et ses produits hautement toxiques comme l’agent orange ou l’herbicide Roundup, la pollution liée à l’extraction pétrolière par une filiale de Shell au Nigeria, une contamination de l’air, des eaux et du sol par Chevron Texaco en Equateur, la catastrophe de Bhopal en Inde en 1984, le naufrage du pétrolier Erika au large de la Bretagne en 1999, la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011) relèvent du registre des accidents industriels où peuvent être mis en cause une prise de risque ou un défaut de prévoyance. De là à mettre en évidence l’intention malveillante de polluer et de nuire à la planète… Ce type de qualification juridique sera extrêmement difficile à mettre en oeuvre.

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Les plus gros pollueurs de la planète doivent-ils néanmoins commencer à trembler?

Non, je ne le pense pas. En vingt ans, la Cour pénale internationale a traité trente cas de génocide. Le monde de l’entreprise ne doit pas craindre la perspective de poursuites pour écocide. Nonante pour cent des entreprises évoluent en connexion avec leur environnement, nombre d’entre elles s’inscrivent dans une réflexion quant à leur impact sur la planète, mettent en place des stratégies afin de le diminuer et s’engagent dans un processus de transition énergétique. Des secteurs comme la chimie et l’industrie pétrolière sont occupés à revoir leur regard sur le monde. Il faut naturellement ôter de ce tableau les bandits qui sévissent toujours. Si la reconnaissance du crime d’écocide peut servir à les empêcher de nuire, ce serait très bien.

L’écocide introduit dans le Code pénal belge pourrait-il pousser des multinationales à simplement délocaliser leurs activités fortement polluantes?

Non, je ne crois pas à ce risque. Je n’aurais rien contre la démarche de faire figurer l’écocide dans le droit pénal belge mais elle sera, selon moi, sans effet sur d’éventuelles délocalisations. D’autres législations fixant des normes environnementales peuvent s’avérer plus efficaces et plus aisées à mettre en oeuvre que le crime d’écocide qui relève davantage d’une approche conceptuelle. Il reste d’ailleurs encore beaucoup de travail à accomplir pour se doter d’un arsenal législatif normatif en matière d’environnement.

Essenscia et Energia, les fédérations professionnelles de la chimie et de l’industrie pétrolière, n’ont pas donné suite à notre invitation à faire valoir leur point de vue: l’aveu d’un malaise?

Sans me prononcer sur leurs motivations, j’y vois plutôt la difficulté pour ces secteurs de prendre véritablement position dans ce qui relève, dans le cas du crime d’écocide, du registre des valeurs morales en cours de réflexion au sein de la société.

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