L’état des lieux du marché immobilier est particulièrement délicat à établir cette année à cause de l’évolution en dents de scie liée à la crise. Les chiffres brandis par les uns et les autres sont parfois contradictoires. Raison de plus pour se fixer des repères lisibles.
A la veille de Batibouw, bien malin celui qui peut fournir cette année une vision claire du marché immobilier et affirmer si, oui ou non, c’est le moment d’acheter ou de vendre, du neuf ou de l’ancien, de construire ou d’attendre d’y voir plus clair.
Selon les notaires que nous avons rencontrés et qui viennent de livrer, province par province, leur analyse du marché des maisons » d’occasion » (ventes publiques et de gré à gré) sur la base des chiffres 2009 enregistrés dans les études du pays, il s’avère que l’état des lieux est particulièrement flou cette année. En cause, l’évolution en dents de scie, d’un trimestre à l’autre, de l’activité des échanges de biens. Fin 2009 déjà, l’activité sur le marché immobilier en Flandre était ainsi remontée de 15 % par rapport au début de l’année. En Wallonie, la reprise atteignait les 18 % sur la même période. Comprenne qui pourra. Comment dès lors pouvoir prédire de quoi demain sera fait ?
» Début 2009, cette activité est tombée à un point tel que nous avons franchement craint le pire, résume Jean-Paul Mignon, porte-parole des notaires du Brabant wallon, peu à l’aise avec les chiffres détaillés cette année. On a même sérieusement pensé à licencier du personnel dans les études où l’on enregistrait des baisses d’activités de l’ordre de 20 %. Puis c’est reparti avant l’été 2009, avec un mois d’octobre exceptionnel… pour rechuter dès novembre. Mais, au final, entre janvier et fin novembre 2009, les droits d’enregistrement versés par les notaires et alimentés principalement par les échanges de biens immobiliers accusent une baisse générale de l’ordre de 20 % à 30 % par rapport à l’année précédente. Aujourd’hui, même si l’activité n’est toujours pas optimale, on enregistre une progression de l’ordre de 16 % par rapport au 4e trimestre de 2008. Et, dans l’ensemble, les prix ont tenu bon, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays. «
Des pommes et des poires
Lorsqu’on évoque avec lui les avis contradictoires des grands réseaux de courtage immobilier, comme Era, Trevi ou Century 21 – ce dernier vient d’annoncer une année 2009 euphorique – et qu’on l’interroge sur le bilan de santé réel à renvoyer aux centaines de milliers de visiteurs de Batibouw, le notaire d’Ittre se veut plus nuancé que jamais. » D’abord, insiste-t-il, il ne faut surtout pas comparer des pommes et des poires. La plupart de ces réseaux nationaux d’agents immobiliers se fondent sur les prix annoncés pour calculer leurs indices et non sur les montants réellement payés lors de la passation de l’acte. Et en cette période de crise que nous traversons depuis l’automne 2008, l’écart entre le prix demandé et le prix réellement offert est parfois très variable. Ensuite, il faut bien avouer que, pour certains types de biens, l’activité est à ce point tombée que des moyennes pertinentes sont particulièrement difficiles à établir. «
D’autant plus difficile de comparer avec les moyennes des années précédentes, devrait-il ajouter, que les paramètres changent, pour l’instant, d’une année à l’autre, d’un expert à l’autre. Ainsi, si, auparavant, les notaires et le SPF Economie (Statistiques nationales) livraient des prix moyens par commune pour les maisons, villas, maisons de rapport, appartements et terrains, certains mélangent aujourd’hui maisons quatre façades et villas ; d’autres segmentent les appartements par nombre de chambres ; d’autres encore, les terrains par superficie. Le comble : on aurait abandonné les prix moyens pour des prix médians, dont la pondération diffère. C’est à ne plus s’y retrouver…
Seul mot d’ordre aujourd’hui commun des agents comme des notaires : » Le marché est à ce point variable d’un bien à l’autre, d’une rue à l’autre, qu’il faut passer par un professionnel du coin pour avoir un prix de référence qui tienne la route. Voire plusieurs si l’on veut recouper son information… » Un exemple ? A Rebecq, en 2008, un terrain de 5 ares se négociait, en moyenne, à 64 000 euros (133 euros le m2) ; un an plus tard, dans la même commune, la moyenne, calculée cette fois sur la base d’un terrain à bâtir de 30 ares sans que l’on sache vraiment à quoi imputer cette hausse brutale de la superficie moyenne, tombait à 119 125 euros, soit plus de trois fois moins cher le m2 (40 euros). Bien sûr, rien n’est comparable, même pour un lopin de terre. Mais tout de même : à quel prix se fier pour tout couple qui se risque encore à rêver de construire pas trop loin de Bruxelles ?
Baisse impressionnante à Lasne
Autre exemple vécu récemment, tiré des plaquettes des notaires du Brabant wallon : à Lasne, commune cataloguée la plus chère du sud du pays depuis des années, le prix moyen pour un terrain de superficie comparable (environ 30 ares) est passé de 161 à 117 euros le m2, soit une baisse impressionnante de quelque 27 % en un an… Au-delà de l’argument commercial un peu facile, il faut bien avouer que les chiffres diffusés cette année sur une base annuelle sont tout sauf généralisables.
Alors, à quel saint se vouer, pour se décider, oui ou non, à acheter ou à vendre ? Tout d’abord aux valeurs sûres : les biens les plus demandés, les plus accessibles, adaptés au profil du demandeur et au prix le plus stable. A ce propos, le type de logement durable le plus rationnel est sans doute l’appartement de qualité, dont les charges (services, frais d’entretien et de rénovation communs) sont limitées dans la durée et dont la localisation est proche des voies de communication. S’il n’est pas évident de trouver facilement ce type de produit sur le marché à un prix abordable, ce dernier est, quel que soit le lieu, d’une stabilité rassurante. Il est bien moins affecté par la situation économique que d’autres biens de prestige, coûteux à l’entretien ou éloignés des axes de circulation. La preuve : en 2009, son prix a même légèrement augmenté en Flandre (+ 1,1 %) et à Bruxelles (+ 2,6 %) alors qu’il a à peine baissé en Wallonie de 1,2 %.
Mais encore faut-il le choisir en connaissance de cause. Comme l’affichait récemment le réseau d’agences immobilières Century 21, si » les maisons 2 façades jusqu’à 220 000 euros et les vieux appartements jusqu’à 160 000 euros ont vu leurs prix à peine reculer, les maisons du segment supérieur et les appartements flambant neufs supérieurs à 250 000 euros ont perdu 10 % de leur valeur en une année seulement. Avec des replis atteignant parfois les 20 % « , ajoute même Julie Lestabel, porte-parole du réseau Century 21.
Une bulle immobilière ?
Selon certains, le fait qu’il y ait aujourd’hui distorsion entre le prix des maisons unifamiliales – qui ne cessent de monter, notamment à Bruxelles – et les loyers – qui, eux, stagnent – serait une preuve tangible de l’existence d’une bulle immobilière artificielle. » Tout faux ! » lâche Philippe Janssens (Bureau Stadim), professeur et expert anversois en analyses immobilières de renom, qui explique cette discordance par le fait que le rendement locatif exigé puisse rester bas vu le niveau, tout aussi historiquement bas, des taux d’intérêt et, donc, de la valeur de l’argent pour rembourser son toit loué. L’équation est simple et déjà connue : » Si les taux d’intérêt remontent et les autres paramètres du coût de la vie également, les loyers remonteront également. «
Selon Philippe Janssens, » le marché résidentiel belge dispose d’ailleurs d’atouts uniques et de bases solides qui permettent de traverser la crise actuelle.
Depuis cinquante ans en effet, notre système d’emprunt hypothécaire et de remboursement progressif du capital garantit à une majorité de Belges qui ont investi dans l’achat de leur toit – 75 % de Flamands, 72 % de Wallons, 50 % de Bruxellois, selon les derniers recensements officiels – d’être pleinement propriétaires de leur bien au moment stratégique de la retraite. Ils sont alors, pour la plupart du moins jusqu’ici, déliés de l’obligation mensuelle de remboursement et, donc, d’une dépense structurelle importante. » C’est loin d’être le cas partout, quoi qu’on pense, commente Philippe Janssens. Par exemple, chez nos voisins néerlandais, vu le système de prêt et de remboursement tout différent, malgré un prix du bâti relativement proche, on note qu’au moment de la retraite pas mal de particuliers sont obligés de se défaire de leur toit sans pouvoir en être jamais pleinement propriétaires. Et ces ventes quasi forcées ont un effet pervers sur le marché local. Le pourcentage de propriétaires de leurs murs tombe ainsi sous la barre des 50 % de la population. Idem aux Etats-Unis, où la crise a montré la fragilité du système d’emprunt, trop spéculatif et trop artificiel, qui ne reposait plus sur rien. Que les acheteurs potentiels chez nous se rassurent : on ne pourrait pas connaître pareille dévalorisation brutale du parc immobilier sur le marché secondaire (NDLR : habitations d’occasion). Pour le moment, du moins… «
Un profil avantageux
La pierre angulaire des analyses de ce professeur d’université spécialisé dans les matières immobilières repose sur un triangle fondé sur trois paramètres indissociables de la vie de tout propriétaire belge, qu’il croise depuis des décennies : le pouvoir d’achat des ménages, l’inflation et les taux d’intérêt pratiqués en matière de prêts hypothécaires. » Depuis des années, ce n’est plus la valeur réelle des habitations qui fixe le prix, mais le pouvoir d’achat des demandeurs et le montant qu’ils sont prêts à investir pour acquérir le toit convoité. Et tant que cet investissement reste maîtrisé et en ligne avec les prix du marché, tout est pour le mieux. Le problème est que, depuis près de deux ans, la valeur des habitations a cessé de monter et que, dans le même temps, la capacité de remboursement des ménages s’effrite. «
Selon Philippe Janssens, le marché résidentiel belge dispose encore d’un profil quasi unique et très avantageux dans le paysage européen. » La brique, c’est mon dada, insiste le professeur : l’acquisition de son domicile est pour moi synonyme de liberté, de sécurité et de pleine jouissance de sa propriété. » Mais il met en garde certains décideurs contre le risque de perdre ces atouts historiques, synonymes d’équilibre et de bonne santé à long terme du marché résidentiel national : cette brique qu’on a placée dans le ventre du Belge, il estime qu’elle est devenue, ni plus ni moins, le deuxième pilier de pension du pays. Un pilier à protéger à tout prix.
dossier réalisé par PHilippe Coulée et guy verstraeten
PHilippe Coulée et guy verstraeten
La brique est devenue le deuxième pilier de pension du pays
» Liberté, sécurité, pleine jouissance «