Le mobilisé de l’été 14 ne fait pas la guerre en dentelle

Avant de s’illustrer au feu, l’engagé volontaire Albert Andries découvre la réalité de l’univers militaire. Et notamment, la cohabitation avec  » la racaille qui ne voyait dans l’engagement qu’un moyen de s’assurer le gîte et le couvert « …

Aux armes, citoyens ! Décrété le 31 juillet en début de soirée, l’ordre de mobilisation générale surprend la plupart des appelés au lit.  » Rares étaient ceux qui s’attendaient à la guerre « , note l’historienne Sophie de Schaepdrijver. Le choc est rude. Il est catastrophique dans les campagnes, où l’appel sous les drapeaux force les hommes à délaisser subitement la moisson et à laisser seuls femme et enfants.

A côté de tous ceux que le devoir appelle, il y a ceux qui se portent volontaires : ils sont entre 12 000 et 20 000 à s’engager spontanément. De purs patriotes, mais aussi des hommes attirés par le gagne-pain, ou des déclassés de la société.

Albert Andries réagit au quart de tour. Au diable les études universitaires en philo et le report qu’il avait obtenu pour effectuer le service militaire, la patrie est en danger ! L’élan de ce Liégeois de 20 ans dépasse l’entendement de l’officier qui enregistre son engagement :  » Soit, mais ne soyez pas surpris si, après la guerre, on vous oblige à faire régulièrement votre service !  » bougonne le gradé. Premier contact avec la logique de l’organisation militaire,  » ses mesquineries, ses balourdises « .

Avant de s’illustrer sur le front, combattant wallon dans les tranchées de Flandre, pour finir lieutenant et grièvement blessé fin septembre 1918, le volontaire de guerre Andries découvre l’envers du décor. Plongée brutale dans un univers fort éloigné de la chronique enjolivée des mobilisés de 14.

C’est le choc du premier rassemblement, au milieu  » d’artilleurs de forteresse, des hommes d’une trentaine d’années puant déjà l’ennui et le dégoût. L’un d’eux me demanda ce que je venais faire là. Quand je lui eus dit que j’étais volontaire de guerre, de tout son coeur, il me lança : « Fôt-y esse biesse ! » « .

C’est la première marche en colonne sous la chaleur,  » coincé entre une crapule et un mendiant ! Ils puaient tous les deux autant qu’hommes peuvent puer « . André Andries apprend à côtoyer  » la racaille qui ne voyait dans l’engagement qu’un moyen de s’assurer le gîte et le couvert « . Avant de connaître la promiscuité des chambres communes.

Le défilé sous l’uniforme dans les rues de la Cité ardente, pour embarquer aux Guillemins, n’a rien de très glorieux :  » Par-ci, par-là, des gens nous témoignaient leur sympathie – pas beaucoup ! Nous formions plus un troupeau qu’une troupe.  » Viennent alors les marches et contremarches à travers la Flandre. Elles familiarisent le volontaire Andries avec le  » froyon « , cette  » irritation de l’intérieur de cuisses provoquée par l’incessant frottement de la peau sur le rude drap du pantalon « .

Le soutien de la population aux troupes en campagne n’est pas toujours au rendez-vous. A Termonde, le soldat Andries et son unité éprouvent  » la rapacité des habitants faisant payer 1franc de l’époque pour un simple verre d’eau ! Avant notre départ, il n’y avait plus un seul drapeau aux fenêtres ! Aussi est-ce sans la moindre pitié que nous apprîmes, quelques jours plus tard, le sac de la ville par les Allemands « . Rien d’une guerre en dentelle, menée la fleur au fusil.

Ce long déchaînement de l’enfer sur le monde, par Albert Andries. Carnets du front de la guerre 1914-1918, parus en 1969, Société des écrivains.

P. Hx

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire