Le micro comme étendard

L’homme qui a fait chanter la Marseillaise à Yves Leterme, c’est lui ! Christophe Deborsu fête ses vingt ans de service à la RTBF. Portrait d’un journaliste flamboyant et culotté, mais de plus en plus contesté.

Décidément, le journaliste n’est pas bricoleur. Debout sur une échelle, Christophe Deborsu repeignait ses châssis, lorsqu’il a perdu l’équilibre et atterri trois mètres plus bas. C’est une voisine qui l’a retrouvé, gisant et inconscient. Le voilà à présent  » un peu sketté « , cloué dans sa maison de Bolinne, près d’Eghezée, loin de la rue de la Loi, alors que le pays vit à nouveau des turbulences politiques.  » Je devais suivre le dossier BHV, la semaine passée. J’ai presque mauvaise conscience de rester chez moi… « , confie-t-il, les cheveux en bataille et les joues mal rasées. Le 8 mai, malgré l’interdiction formelle de son médecin, il n’a pas résisté : il a allumé la télé pour suivre en direct la retransmission des débats à la Chambre. Mais il s’est endormi dans son fauteuil, juste au moment où Yves Leterme prenait la parole… Symptomatique ?

Sans Christophe Deborsu, le JT de la chaîne publique serait tout autre. Son style très personnel, son approche de l’info, ludique et culottée, en ont presque fait un people. Son coup médiatique le plus retentissant (son  » chef-d’£uvre « , selon ses admirateurs) restera dans les mémoires : le 21 juillet 2007, il demande au formateur Yves Leterme de chanter la Brabançonne. Rigolard, le futur Premier ministre s’exécute… et entonne la Marseillaise ! Deborsu a également participé à Bye-bye Belgium, le docu-fiction de la RTBF annonçant la fin de la Belgique. La séquence où, face à la caméra, le journaliste rendait compte du pseudo-vote historique au parlement flamand, avec, en arrière-fond, un groupe de militants nationalistes, a elle aussi marqué les esprits. Concepteur de l’émission Projet X, un ovni médiatique lancé en 2002 et supprimé deux ans plus tard, le gaillard possède une flopée de reportages détonants à son actif. Exemple : en 2002, lorsqu’Abou Jahjah organise des  » patrouilles civiles  » pour surveiller la police anversoise, Deborsu se met en tête de l’imiter. Un caméraman à ses côtés, il suit à la trace les agents montois. A la fin de la journée, les policiers lui intimeront l’ordre, polis mais fermes, de cesser de les suivre.

Ce journalisme offensif passe mal dans le nord du pays. Quand Yves Leterme, s’estimant victime d’un dénigrement systématique, a comparé la RTBF à la Radio Mille Collines, il y avait derrière cette déclaration maladroite un ressenti non-dit à l’égard de deux journalistes du JT : Christophe Deborsu et Baudouin Remy.  » J’ai dit en boutade à Christophe qu’il était sans doute le journaliste le plus détesté de Flandre, confie Rudy Aernoudt, auteur de l’essai Flandre Wallonie. Je t’aime, moi non plus. Les Flamands pensent qu’il essaie délibérément de les ridiculiser.  » La Flandre, pourtant, Christophe Deborsu la connaît et l’apprécie. Il a accompli sa licence en droit à la KUL (Leuven). Il tient un blog sur le site de la VRT et participe à l’émission de divertissement De tabel van Mendeleev. Le quotidien De Standaard l’a classé 11e dans son top 100 des personnalités de 2007. Sur sa table de chevet, actuellement ? Het verdriet van België, d’Hugo Claus. En version originale, s’il vous plaît.

N’empêche, au sein même de la RTBF, ses méthodes ne font pas l’unanimité. Certains se demandent si Deborsu n’est pas guetté par le risque de devenir la caricature de lui-même.  » Avec lui, l’idée prime souvent sur tout le reste, indique un collègue. Son sujet sur Frédéric Laloux, obligé de travailler dans sa voiture parce qu’il n’avait pas de bureau, cela ressemblait à une fiction. On a l’impression qu’il a fait jouer Laloux, que ça a presque été un tournage.  »  » Christophe Deborsu est un vrai créatif, estime François De Brigode, présentateur du JT. Il fait corps avec son reportage. Mais il doit faire gaffe à ne pas cultiver le côté dérangeant pour le côté dérangeant. Dans certains de ses reportages, il donne l’impression de partir en croisade. « 

Le 18 avril, pour fêter ses vingt années à la RTBF, il est arrivé avec du Cécémel et des biscuits dans son sac à dos.  » Du pur Deborsu, selon son collègue et ami Baudouin Remy. Plutôt que d’amener du vin et des chips, comme tout le monde, il a préféré apporter le petit

déjeuner, pour que ça n’empêche personne de travailler et que chacun commence la journée du bon pied.  » D’autres ont beau jeu d’ironiser sur son côté  » boy-scout catho « , son enthousiasme un peu enfantin.  » A la pause, lors des réunions internes, il est du genre à vendre des bics pour la Fondation Père Damien, avec un air de chien battu « , confie un collègue.

Fils de deux professeurs de latin-grec, Christophe Deborsu a embrassé le journalisme comme une vocation. A 9 ans, sa première revendication familiale a concerné le droit d’aller dormir plus tard, pour voir le journal de Luc Beyer. Aujourd’hui, il vit son métier à 110 %. Chaque dimanche soir, l’homme est stressé, dort mal : la peur de mal faire.  » Faudrait que je me calme un peu « , admet-il. Le 14 février 2005, vers 3 heures du matin, à l’époque où il éditait les JP de Vivacité, il a commis un sinistre total en roulant à toute vitesse vers la rédaction de Mons. Il n’a dû sa survie qu’à la solidité de sa voiture. Le voilà à nouveau en convalescence. Il espère néanmoins être retapé pour courir les 20 Kilomètres de Bruxelles, le 25 mai. Infatigable Deborsu…

son père spirituel

Depuis son entrée à la RTBF, en 1988, Christophe Deborsu éprouve une admiration sans bornes pour Jean-Claude Defossée (photo). Les deux journalistes ont en commun le style espiègle, l’impertinence, la créativité dans l’utilisation des images et… la tentation d’en faire trop. Au-delà de la filiation avec Defossé, Deborsu perpétue une tradition d’humour belge propre à la chaîne publique, dans la lignée de Strip Tease, Bye-bye Belgium ou Tout ça (ne nous rendra pas le Congo)…

son frère

Frédéric Deborsu(photo), le frère de Christophe, est également journaliste à la RTBF. Enfants, dans le salon de la maison familiale, à Jambes, ces deux grands bruns commentaient ensemble les matchs de foot.  » Ce sont tous les deux des actifs, des gens qui vont sur le terrain et qui ramènent des infos, commente leur collègue Baudouin Remy. Avec beaucoup de tendresse et de respect, je dirais qu’il y en a un qui est encore plus fou que l’autre. Et c’est Frédéric le plus fou.  »

ses héros

Interviewé par De Morgen, qui lui demandait quels étaient ses héros, Christophe Deborsu a répondu :  » Sans ironie, Jésus-Christ et Yves Leterme.  » Après coup, il déclare :  » Quoi qu’on en dise, Leterme est quelqu’un d’extraordinaire. Et un type qui annonce que seul l’amour est tout-puissant, ça fait quand même bouger le monde…  » Parmi ses autres  » héros « , Deborsu mentionne aussi Michel Preud’homme, Jean-Michel Javaux, le président équatorien Rafael Correa, Louis Michel, Edmond Leburton (le dernier francophone à avoir été Premier ministre), Achille Van Acker –  » ça, c’était un vrai socialiste ! « , mais aussi les militants humanitaires…

ses livres

Christophe Deborsu est friand de littérature flamande. Parmi ses romanciers préférés, des auteurs aussi différents que Pieter Aspe, Luc Deflo, Louis Van Dievel, Dimitri Verhulst et Jef Geeraerts (photo).  » Je viens aussi de terminer De Engelenmaker, de Stefan Brijs, confie-t-il. C’est le bouquin préféré d’Yves Leterme. Du Stephen King à la flamande. Renversant !  »

so n vélo

Chaque matin, le journaliste prend le train de Gembloux à Bruxelles-Schuman. Il rejoint ensuite le Boulevard Reyers, avec son vélo pliant.  » C’est un Orbea ! Il roule super bien. Je ne peux plus m’en passer. « 

François Brabant

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