Ils sont partout, envahissent tous les secteurs : privé et public, institutionnel et associatif. Une véritable déferlante. » Ils « , ce sont les médiateurs. Certains, non sans risque de confusion, préfèrent s’afficher » ombudsmans « . Leurs missions : huiler les engrenages des rapports sociaux, déminer les conflits latents entre conjoints ou voisins, rapprocher le citoyen d’une administration trop hautaine, réconcilier le justiciable avec les hommes de robe, ramener un brin d’humanité dans les entreprises mammouths lorsque leurs relations avec la clientèle battent de l’aile. A leur façon, ils incarnent la riposte à l’évolution d’une société qui, envahie de PC, fax et autres GSM, semble avoir perdu le sens de la proximité, de la négociation en face à face et de la résolution pacifique des conflits. Ou qui, plus simplement, a oublié la chaleur de la vie de quartier.
Chez nous, les premiers ombudsmans ont surgi dans le secteur des assurances (1986), puis dans celui des banques (1990). Suivis par les entreprises publiques autonomes (La Poste, la SNCB, la RTBF), l’armée, les administrations fédérales et régionales, les CPAS… Les ombudsmans et les médiateurs (de dettes, interculturels, de quartier…) travaillent dans les écoles, les hôpitaux, les parquets, les communes, les journaux, etc. Jusqu’au sein des couples, où les médiateurs familiaux, reconnus depuis 2001, tentent de limiter la casse entre conjoints : la séparation doit-elle forcément rimer avec la destruction ?
Effet de mode ? Il y a de tout dans la grande famille de la (ré)conciliation. Depuis la simple boîte aux lettres pour les réclamations de la clientèle, vitrine commerciale sans lendemain, jusqu’à l’émergence d’une véritable profession moderne, avec ses exigences : formation, méthodologie, déontologie.
A Charleroi, Franco Gizzi (42 ans), ex-animateur interculturel, pratique la médiation de quartier depuis près de dix ans. Haies envahissantes, mitoyennetés litigieuses, tapages nocturnes, odeurs pestilentielles : son équipe de 6 médiateurs est rompue à l’apaisement de ces innombrables » broutilles » qui, trop souvent, dégénèrent en haines corses et empoisonnent l’existence pendant de longues années. Elle intervient strictement à la demande des particuliers. Sa passion gourmande ? L’observation des rapports sociaux : comment faites-vous, quel type de lien construisez-vous après avoir dit » bonjour » ? Son obsession : pourquoi l’individu, pour exister, doit-il trop souvent détruire son semblable ?
Gizzi fait partie de ces pionniers de la médiation relationnelle : » Nous ne sommes ni des juges ni des arbitres. Nous n’avons presque aucun pouvoir sur les parties en conflit. A l’issue de nos interventions, il n’y a ni gagnant ni perdant, mais une nouvelle façon de vivre ensemble, moins destructrice. » On ne tue pas son adversaire, mais bien la querelle, dit un proverbe africain.
C’est vrai : là où beaucoup d’ombudsmans mènent de véritables enquêtes, dénoncent petits et grands travers institutionnels et déposent de tonitruants rapports au pied des puissants (selon le Conseil d’Etat, le médiateur de la Région wallonne jouit d’une » autorité quasi parlementaire » !), les médiateurs de quartier, eux, anti-Zorro par excellence, rapprochent les belligérants à petits pas, recousent patiemment leurs rapports sociaux écornés, tissent des liens collectifs régénérés. Des pompiers du social ? Oui, mais dans la durée, jamais dans l’urgence. » Les gens sont les propres artisans de la résolution de leurs conflits. Nous ne faisons que les aider à retrouver en eux-mêmes une dynamique participative. »
A Charleroi, de 200 à 300 dossiers se règlent ainsi chaque année, sans intervention judiciaire. Souvent surchargés, les juges de paix et les policiers de quartier se félicitent du succès de cette nouvelle voie, qui fait tache d’huile jusqu’en Flandre. Mais, plus fondamentalement, cette médiation de proximité coupe les ailes au clientélisme, au poujadisme et au sentiment d’insécurité. Elle constitue, à cet égard, une (modeste) brique de plus dans l’édification d’une nouvelle citoyenneté. Au Japon, dit-on, la valeur d’un avocat se mesure au nombre d’affaires qui, grâce à ses soins, n’ont pas abouti devant le tribunal…
Philippe lamotte