LE Liban tourne la page

Marianne Payot Journaliste

L’Unesco a désigné Beyrouth comme capitale mondiale du livre. Ses auteurs ont puisé dans l’épreuve de la guerre civile la force d’un nouvel élan. Une littérature se lève en Orient.

De notre envoyée spéciale

Longtemps, le Liban a fait figure de refuge pour les iconoclastes, avec son grand poète Khalil Gibran, le premier à avoir critiqué les religions dès le début du xxe siècle, ou encore en publiant, en 1965, Naguib Mahfouz, alors interdit en Egypte. Mais les romanciers, eux, traitaient essentiellement d’un Liban pays de cocagne, véritable carte postale avec sa mer, ses montagnes, ses belles filles et sa cuisine réputée, le tout sur fond de communautarisme harmonieux. Les guerres – 1975-1990, été 2006 – ont donc enclenché le renouveau du roman libanais.  » L’Egypte écrit, le Liban imprime et l’Irak lit.  » Si ce vieil adage est aujourd’hui dépassé, le pays du Cèdre demeure, avec Le Caire, le c£ur de l’édition arabe, comme l’a rappelé l’Unesco en désignant Beyrouth capitale mondiale du livre 2009-2010. Un statut d’autant méritoire qu’il règne un calme précaire sur ce pays.

Pour nombre de romanciers issus des générations qui ont plus vécu en temps de guerre qu’en période de paix, la littérature libanaise se serait donc débarrassée de ses interdits. Un constat qui semble un rien idyllique aux yeux de certains, comme Rachid el-Daïf, l’auteur incisif et ironique de Qu’elle aille au diable, Meryl Streep ! (Actes Sud).  » Les intellectuels sont restés très conservateurs. Il est plus facile d’être un opposant politique que de s’attaquer aux problèmes du sexe ou de la religion, affirme cet ancien professeur de littérature arabe à l’université libanaise et tombeur de tabous lui-même. Les femmes, elles, longtemps occultées par les hommes, sont plus mordantes et courageuses. Il est vrai qu’elles ont un intérêt objectif au changementà  » L’énergique Racha al-Amir, à la fois éditrice (Dâr al-Jadîd) et romancière, rappelle de son côté la subtilité du système, qui, hors de toute censure, permet d’étouffer un livre :  » Mon roman Le Jour dernier parle de l’islam, un sujet longtemps proscrit. Alors, on ne l’interdit pas, mais il ne bénéficie d’aucune promotion, et, quand on l’évoque, on fait l’impasse sur son contenu. « 

Pour échapper à l’oubli, rien ne vaut une traduction, notamment en français. Symbole, aujourd’hui encore, de consécration et espoir de quelques revenus supplémentaires. Car l’étroitesse du marché libanais aidant, un best-seller à Beyrouth ne saurait dépasser les 1 000 exemplaires, et les écrivains, pour la plupart universitaires et (ou) journalistes, vivre de leurs livres. C’est donc à Paris que se joue souvent le destin des auteurs libanais. Qu’ils soient beyrouthins ou exilés, arabophones (leur grande majorité) ou francophones. Pour ces derniers, d’Amin Maalouf à Yasmina Traboulsi en passant par Salah Stétié, Vénus Khoury-Ghata et Alexandre Najjar (voir l’encadré ci-dessus), c’est une évidence :  » Le pays ne dispose d’aucun éditeur majeur francophone « , rappelle Charif Madjalani, auteur, au Seuil, d’un roman remarqué, Histoire de la grande maison. Pour les arabophones aussi, la présence sur le marché français se révèle essentielle – ainsi, Elias Khoury (voir l’encadré page 87) a-t-il vendu plus de 10 000 exemplaires de La Porte du soleil, édité par Actes Sud en 2002. Et si, pendant longtemps, seule la collection Sindbad se risquait à publier ces auteurs, d’autres maisons n’hésitent plus à s’engouffrer sporadiquement dans la brèche.  » Depuis le succès de L’Immeuble Yacoubian, de l’Egyptien Alaa El Aswany, cela semble bouger, s’amuse Farouk Mardam-Bey, directeur de la collection Sindbad chez Actes Sud. Les éditeurs se disent : « Il y a non seulement la qualité, mais en plus cela peut être rémunérateur. » « 

En fait, il ne règne ici aucune crispation sur la langue d’écriture – l’arabe, le français, ou encore l’anglais.  » Peu importe l’idiome, confie Elias Khoury, il ne s’agit pas chez nous d’un choix philosophique. Il y a des bons et des mauvais livres, c’est tout. Georges Shehadé n’est-il pas le plus grand écrivain libanais ?  » Mais ne soyons pas trop angéliques !  » Spontanément, les arabophones nous témoignent une certaine méfiance, pondère Madjalani, mais quand ils sentent que nous restons dans leur champ éditorial, c’est-à-dire que nous ne faisons pas dans l’auto-orientalisme et l’exotisme, tout va bien.  » Si aucun parfum colonialiste n’enveloppe la langue de Molière, c’est parce que son usage au sein des élites date de Napoléon III, voire du xviiie siècle, donc de bien avant le mandat français (1920-1944). Mieux, assure le poète, romancier Abbas Beydoun :  » Les écrivains arabophones, eux-mêmes, ont adopté les visions françaises de la culture, de la poésie, du roman, et ce sont eux qui les propagent aujourd’hui. « 

À lire

Le Livre et la Ville. Beyrouth et l’édition arabe, par Franck Mermier. Actes Sud/Sindbad, 252 p.

Liban, des mots entre les maux, collectif, revue Riveneuve Continents, 240 p.

marianne payot

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