Le laid de Millevaches

Conscient de sa disgrâce depuis son enfance limousine, le héros de Richard Millet ne renonce pas pour autant au sexe. Une magnifique peinture du désespoir

Le Goût des femmes laides, par Richard Millet. Gallimard, 197 p.

« Eï be leyde ! « à  » Il est bien laid !  » Que sa mère ait prononcé ou non cette phrase, peu importe : il l’a lue dans ses yeux. Là-bas, sur le plateau de Millevaches, on l’appelle le  » laidassou « , le  » crapounaud  » ou le  » limassou « . Depuis l’âge de 8 ans, il sait sa disgrâce.  » Je n’étais pas seulement laid : j’étais trop laid.  » Mais comment assumer ce visage en  » sabot fendu  » ?  » Celui qui se découvre laid, surtout un enfant, est voué à se sentir coupable et à chercher jusqu’à la fin une absolution qui ne viendra pas.  »

 » Casanova du rebut  »

A l’adolescence, de rares tentatives, plus ou moins avortées, pour regarder sous les jupes des filles lui ayant toutefois ménagé quelque espoir, il entrevoit la prometteuse complexité de la sexualité féminine. A 15 ans, donc, il s’installe dans l’idée que sa laideur n’est pas un handicap rédhibitoire. Et établit les bases d’une philosophie. 1. L’existence n’est supportable que si l’on connaît bien ses besoins et ses goûts. 2. Tout se jouera dans le domaine sexuel, puisque ceux à qui l’amour est refusé doivent séparer le sentiment amoureux du désir,  » qui en est la dimension incendiaire, et consolatrice « . 3. Monter à Paris.

Rédacteur en chef d’une feuille de chou au service d’un homme politique corrézien, ce  » Casanova du rebut  » va se spécialiser dans la drague des femmes moches. Avec constance il s’emploie à détruire les velléités amoureuses dont ses disgracieuses conquêtes l’accablent parfois. Il se complaît dans l’échec, la solitude et le malheur, même quand, à l’orée de la cinquantaine, de jeunes et jolies femmes lui ouvrent, enfin, leurs bras. Grinçant, misanthrope, caustique, ce beau roman du laid confirme, s’il en était besoin, le talent de styliste de Richard Millet et la cohérence de son £uvre. Il s’achève comme il s’était ouvert, sur l’irrecevable regard de la mère, source de cet amer constat que  » tout commence et finit de la même façon pour les laids comme pour les autres, dans l’absence ou l’impossibilité de l’amour qui aura été notre seule manière d’aimer ici-bas « . Kierkegaard n’aurait rien écrit d’autre.

Thierry Gandillot

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