Le jardin dévasté

Pas de trace de mutilations génitales féminines pratiquées en Belgique. Une loi l’interdit. Mais au moins 5 000 femmes mutilées vivraient chez nous. Et certains médecins sont tentés, parfois, de réinfibuler

(1) Mon Jardin dévasté, publié par le Gams-Belgique, 11, rue Brialmont, à 1210 Bruxelles, www.gams.be.

Avec pudeur, mais clarté, Khadidiatou Diallo livre le récit de son excision (1), survenue un jour au Sénégal.  » Un beau matin, on m’emmène chez une cousine. Il y avait aussi une autre fille. Une femme, habillée en rouge et masquée de noir, fait un signe à ma tante. Quatre femmes viennent alors me prendre comme une feuille et m’allongent par terre. Deux femmes me prennent par les jambes et deux autres, par les bras. Elles me serrent fort contre le sol pour que je ne bouge pas. Elles commencent à me débroussailler et à me déraciner. La ôbouchère » continue à dévaster mon jardin, elle coupe mon bouton rose noir. Elle me dit de rester tranquille, sinon je ne trouverai pas de mari.  »

Aujourd’hui, la jeune femme préside, à Bruxelles, le Groupement pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines (Gams), qui milite contre ces usages et aide les femmes qui en ont été victimes.

Chaque année, 2 millions de femmes subissent des mutilations génitales féminines (MGF) dans le monde. Si notre pays accueille des femmes excisées ou infibulées, rien n’indique, jusqu’à présent et malgré de multiples recherches, que des mutilations soient pratiquées chez nous. En 1995, une enquête, réalisée par un groupe de travail flamand, soulignait qu’en Belgique  » la défibulation (NDLR : l’infibulation consiste à coudre la vulve après ablation totale ou partielle des petites et grandes lèvres) est assez souvent pratiquée, parce que l’accouchement peut ainsi se dérouler sans risque. La réinfibulation est rarement demandée : deux médecins l’ont pourtant pratiquée. Aucun médecin n’a pratiqué l’infibulation « . Plus récemment, dans un hôpital de la capitale, un médecin a répondu au souhait d’une femme d’être  » recousue  » après un accouchement, mais il affirme l’avoir fait pratiquement  » pour faire semblant « . Lors d’une enquête réalisée par une gynécologue, le Dr Aïssatou Diallo, dans ce même hôpital, deux médecins sur 15 du service de gynécologie/obstétrique ont déclaré qu’ils accepteraient de réinfibuler, à la demande des patientes. Le Dr Diallo rappelle qu’au xixe siècle la clitoridectomie a aussi existé en Europe et aux Etats-Unis où  » elle servait à traiter différentes ôfaiblesses féminines » telles que l’épilepsie, l’hystérie, la mélancolie, la masturbation… « .

En dehors de ces témoignages, rien : les intervenants dans le domaine de la santé attestent que les mutilations n’ont pas lieu dans notre pays.  » Je ne connais aucun cas, confirme Khadidiatou Diallo. Des rumeurs circulent parfois, mais rien n’est établi. Les femmes vont plutôt dans les pays voisins, en France ou aux Pays-Bas, ou elles retournent dans leur pays d’origine pour y faire exciser ou infibuler leurs filles.  » Même conclusion à l’hôpital Saint-Pierre (Bruxelles), qui reçoit une forte population immigrée, et chez le Pr Jean-Jacques Amy, de l’AZ-VUB, connu pour l’attention qu’il porte au traitement des femmes mutilées :  » On en parle parfois, mais je n’ai confirmation de rien.  » Ou encore dans d’autres associations travaillant dans les secteurs de la santé, des femmes et du développement. En France, par contre, des exciseuses et des parents ont été condamnés au cours de procès fortement médiatisés.

D’après l’Organisation mondiale de la santé, de 135 à 140 millions de femmes ont subi des mutilations, presque toutes dans 28 pays d’Afrique. En France, elles seraient 30000 ; en Belgique, de 5 000 à 10 000. Répondant en 2003 à une question parlementaire, Nicole Maréchal (Ecolo), ministre communautaire de la Santé, admettait que  » nous ne disposons actuellement d’aucune statistique nous permettant de connaître l’ampleur du problème « . Toutefois, ajoutait-elle, le Commissariat général aux réfugiés et apatrides et l’Office des étrangers estiment à 800 par an, en moyenne, le nombre de réfugiées provenant de pays d’Afrique où les mutilations génitales sont pratiquées.  » Ce n’est que la partie visible de l’iceberg « , ajoutait la ministre. Les statistiques sont en effet terriblement aléatoires, notamment en raison du nombre d’Africaines en situation clandestine en Europe, particulièrement celles qui viennent de pays où les mutilations sont les plus fréquentes : Djibouti, Soudan, Somalie, Ethiopie, Erythrée… Chez nous, ces pays sont moins représentés que le Congo ou le Rwanda. En ce qui concerne les femmes rwandaises, le Dr Barlow, de Saint-Pierre, évoque cependant des  » pratiques curieuses « , comme l’utilisation, dès le jeune âge, des pinces à linge pour obtenir une hypertrophie des lèvres.  » Mais ce n’est pas destructeur, à la différence des mutilations au sens strict « , ajoute-t-elle.

 » Le principal problème rencontré en Europe par les femmes tentées de refuser la mutilation est la pression sociale de leur communauté et, donc, le risque d’exclusion « , explique Khadidiatou Diallo. Pour celles qui en ont déjà été victimes, le problème est essentiellement sanitaire, relèvent le Dr Barlow et le Pr Jean-Jacques Amy : pas tellement pour les accouchements, mais pour des problèmes urinaires ou de dysménorrhée (douleurs lors des règles). Une analyse confirmée par l’enquête du Dr Aïssatou Diallo.

Prévenir, soigner, punir

Les personnes ou associations actives dans la lutte contre les mutilations développent essentiellement trois types d’activités : préventives, curatives et juridiques.

D’abord informer les femmes, surtout les mères de famille qui souhaitent faire mutiler leurs filles : elles apprennent elles-mêmes les complications médicales des mutilations et pourront peut-être résister à la coercition sociale de leur entourage. Encore faut-il savoir argumenter. Pour la présidente du Gams, insister sur les conséquences médicales est essentiel :  » Les arguments culturels sont inutiles, même s’ils sont avancés par nous, qui sommes africains. Ils sont rejetés parce que nous sommes classés ôavec les Blancs ».  »

Le Dr Aïssatou Diallo constate que la persuasion s’avère plus difficile avec les femmes excisées qu’avec les infibulées, parce que, médicalement, l’excision est moins  » dommageable « . Elle estime dès lors qu’il faut surtout démontrer aux femmes que les mutilations ne sont pas des obligations religieuses. Et travailler sur leur indépendance économique : débarrassées de la nécessité de trouver un mari pour survivre ou apporter une dot à leur famille, les filles ne seraient plus conduites à la mutilation par leur mère.  » J’ai rencontré une jeune maman opposée à cette pratique : elle n’ose pas aller au Mali avec sa fille, car sa famille tient à ce que la tradition soit respectée, raconte le Dr Diallo. Mais une autre permettra qu’on mutile sa fille car ôl’ablution du prophète doit couler sur sa fille ».  »

La prévention demeure aussi indispensable envers les hommes. En Belgique, une vidéo montre les souffrances des filles au moment des mutilations. Diffusée à des pères, qui n’assistent, en principe, jamais à de tels actes, elle a un effet dissuasif efficace, selon le Pr Amy.

Pour les femmes mutilées, la prévention vient malheureusement trop tard. C’est de soins et d’écoute dont elles ont besoin.  » Rencontrer ce besoin d’accueil psychologique et de soins est la principale amélioration à apporter à la situation actuelle en Belgique « , confirme Khadidiatou Diallo. Mais, précise le Pr Amy,  » le personnel médical belge est peu informé et est souvent pris au dépourvu « . Encore une fois, l’enquête du Dr Aïssatou Diallo l’atteste :  » Une formation complémentaire du personnel soignant pourrait être utile (…) Il est vrai que ce sujet n’est pas abordé lors de la formation du personnel soignant.  »

Enfin, puisque la persuasion est nécessaire mais insuffisante, la Belgique a opté pour une législation spécifique aux mutilations sexuelles : l’article 409 de la loi de protection pénale des mineurs du 28 novembre 2000. Cependant, d’après Patricia Jaspis, magistrate belge, qui intervenait lors d’un colloque du Gams,  » l’efficacité d’une législation spécifique est relative « . D’autant que choisir l’interdiction, c’est encourager la clandestinité. Toutefois, une loi a un effet dissuasif, précise Mme Jaspis, parce qu’elle  » est un signal important quant aux valeurs qu’elle entend faire respecter et parce qu’elle véhicule une valeur symbolique importante « . Car c’est aussi de valeurs qu’il s’agit, pas seulement de techniques médicales.

André Linard – InfoSud

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