Les négociations budgétaires sont dominées par l’opposition gauche-droite. Pendant que socialistes et libéraux s’écharpent, les centristes du CDH et du CD&V observent, sans se mouiller. Analyse.
L’alliance des socialistes et des libéraux serait-elle définitivement » contre nature » ? Le mot jadis osé par Laurette Onkelinx résonne encore. Car, au sein du gouvernement fédéral, le dernier round des négociations budgétaires est marqué par un surprenant retour en force du clivage gauche-droite. Sortie un brin provocatrice de Vincent Van Quickenborne (Open VLD), tabous martelés par Laurette Onkelinx (PS), réplique immédiate de Didier Reynders (MR)… Les socialistes sont à couteaux tirés avec le bloc libéral, tandis que les partis centristes – CDH et CD&V – brillent par leur discrétion. » Il y a très peu de communautaire dans ces négociations. C’est surtout l’opposition gauche-droite qui est forte, assure Melchior Wathelet, secrétaire d’Etat (CDH) au Budget. D’ailleurs, si on avait dû négocier le budget rien qu’avec le CD&V, on aurait déjà terminé depuis trois semaines. » La confection du budget, parce qu’elle implique une projection dans l’avenir, constitue le lieu même de l’affrontement gauche-droite. » En schématisant, on peut dire que le désaccord se marque surtout sur le rôle dévolu à l’Etat par les uns et les autres, décode Vincent de Coorebyter, directeur du Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp). La droite considère que l’Etat doit avant tout veiller au bon fonctionnement du système. Elle en assume les dimensions inégalitaires : pour elle, il s’agit de la face négative de la concurrence et de la liberté, nécessaires à l’efficacité du système. La gauche, de son côté, estime que l’Etat doit d’abord se soucier des plus faibles et des moyens revenus. » Les débats de ces derniers jours l’ont souvent confirmé : pris entre le marteau socialiste et l’enclume libérale, les partis (ex-)chrétiens défendent la plupart du temps une position médiane. Joëlle Milquet, ministre fédérale de l’Emploi, et Benoît Cerexhe, ministre bruxellois de l’Economie, prêtent une oreille attentive aux revendications patronales. En outre, tant le CDH que le CD&V s’ancrent dans une tradition d’attention aux questions sociales. » Face aux difficultés budgétaires, notre approche est moins dogmatique, moins guidée par les symboles que celle des libéraux et des socialistes, affirme Melchior Wathelet. La gauche veut accroître les recettes de l’Etat. La droite préfère raboter les dépenses. En bons centristes, nous disons : il faut toucher à la fois aux recettes et aux dépenses, de manière proportionnée. «
Bien sûr, le MR n’est pas le parti » ultralibéral » que d’aucuns décrivent, et le PS n’est pas non plus cette formation » collectiviste » que certains croient encore voir. A gauche comme à droite, on se rend compte que la crise impose à chacun de mettre de l’eau dans son vin. Tous les partis sont désormais d’accord : aussi bien les banques qu’Electrabel devront participer à l’effort budgétaire. » Même si les libéraux ont marqué leur accord sur le principe, les accents ne sont pas les mêmes, note toutefois Vincent de Coorebyter. La volonté de taxer les banques s’affirme de façon beaucoup plus spectaculaire du côté socialiste, où on aime rappeler que les banques sont responsables de la crise, qu’elles ont accumulé des profits éhontés… «
Très rare au cours de l’histoire politique belge (lire encadré), la cohabitation des socialistes et des libéraux dans un même gouvernement a toujours été compliquée. Elle le devient plus encore en période de crise. Les deux familles politiques ont pu facilement collaborer entre 1999 et 2003, car l’argent coulait pour ainsi dire à flots, ce qui leur évitait d’épineux arbitrages budgétaires, et donc idéologiques. La confrontation est devenue plus visible à partir de 2003, précisément quand le contexte budgétaire a commencé à se resserrer.
Au-delà du désaccord politique, la nervosité du PS, du MR et de l’Open VLD s’explique aussi par des considérations plus terre-à-terre. Relégués dans l’opposition tant en Flandre qu’en Wallonie, les libéraux se doivent à tout prix d’imprimer leur marque au niveau fédéral. Quant au PS, entré au gouvernement malgré son score piteux aux élections législatives de 2007, il doit composer avec un rapport de force défavorable : parmi les quatre autres partis de l’exécutif Van Rompuy, trois penchent plutôt à droite (MR, Open VLD et CD&V), tandis que le CDH campe résolument au centre. Dans cette coalition où la tonalité dominante est opposée à la sienne, le parti d’Elio Di Rupo doit constamment élever la voix, y compris dans les médias.
Un compromis chèvrechoutiste ?
A quoi ressemblera le budget dont accouchera le gouvernement fédéral, attelage hétéroclite composé de trois courants politiques ? La question se pose d’autant plus que les oukases lancés dans les médias par les uns et les autres, au mépris des consignes de discrétion données par Herman Van Rompuy lui-même, ont sérieusement rétréci le champ des possibles. Augmenter les accises sur le diesel, introduire un impôt sur la fortune, limiter la norme de croissance des soins de santé, taxer davantage les comptes d’épargne : autant de pistes plus ou moins carbonisées. Alors, que faire ? » Ce qui sortira dans les prochains jours ne sera vraisemblablement ni un budget d’austérité, ni un budget de relance. On aura quelque chose qui ne se laisse pas facilement catégoriser « , pronostique Vincent de Coorebyter. C’est toute la différence avec les gouvernements des années 1970 et 1980, caractérisés par une unité de vues beaucoup plus forte. A l’époque, face à la crise, des majorités de centre-gauche (socialistes et sociaux-chrétiens) avaient d’abord puisé dans les deniers publics pour relancer l’économie. Les gouvernements Martens-Gol (sociaux-chrétiens et libéraux) avaient ensuite donné un net coup de barre à droite, dans le but d’assainir les finances publiques.
Cette fois, la cohabitation des libéraux et des socialistes, mariage de l’eau et du feu, débouchera-t-elle sur un compromis boiteux, chèvrechoutiste ? Certains le redoutent, au moment où la crise imposerait de tracer des lignes directrices claires. » L’absence de volontarisme radical peut aussi se transformer en avantage, observe cependant Jean-Benoît Pilet, politologue à l’ULB. Cela permet d’éviter que des politiques trop volontaristes, si elles échouent, plombent le budget de l’Etat. » Soupçonnée d’immobilisme, la » grande coalition » CD&V-CDH-Open VLD-MR-PS présente au moins cet avantage : elle ne péchera ni par une réforme fiscale excessive, entraînant une réduction drastique des recettes de l’Etat, ni par une générosité trop grande dans la relance, qui ferait exploser la dette publique. C’est déjà ça.
François Brabant
» avec le seul CD&V, le budget serait déjà bouclé « (melchior Wathelet)