Le directeur général sous surveillance

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Le conseil d’administration a (re)pris les choses en main. Les missions de la fondation seront recentrées et deux audits internes sont lancés. Le directeur général dispose de deux mois pour obtenir la confiance des administrateurs.

Pendant tout l’après-midi de ce lundi 12 mars, les portes sont restées closes : les administrateurs du Crioc (Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs) ont discuté pendant plus de cinq heures dans les bureaux de la CGSLB, le syndicat libéral, au centre de Bruxelles. L’objet principal de leurs débats : les pistes à tracer pour assurer un avenir à cette fondation d’utilité publique après la publication, dans Le Vif/L’Express, d’un dossier qui épinglait des dysfonctionnements tant en termes de qualité des enquêtes fournies que de gestion du personnel.

Cet après-midi-là, ils sont huit autour de la table, représentant diverses associations (mutualités, syndicats, Ligue des familles…), sur les quinze administrateurs conviés. Sont également présents la présidente du conseil, Ann De Roeck-Isebaert, la vice-présidente Caroline Jonckheere (CGSLB), ainsi que Marc Vandercammen, directeur général, et Pierre Van De Cruyce, responsable financier du Crioc.

Daniel Van Daele, secrétaire fédéral de la FGTB et vice-président du Crioc, n’assiste pas à ce conseil.  » En accord avec lui, nous avons décidé qu’il ne participerait pas à la réunion, explique Anne Demelenne, secrétaire générale de la FGTB. Il a en effet été mis en cause, en tant que représentant du syndicat, dans la gestion du Centre et nous ne voulons pas que des questions de personnes interfèrent dans le travail du conseil d’administration.  » On ignore pour l’instant combien de temps le mandat de Daniel Van Daele sera suspendu. Son retour éventuel au sein des instances du Crioc sera examiné en fonction du résultat des audits qui ont été demandés par le conseil d’administration.

Car le conseil a manifestement décidé de reprendre les choses en main au Crioc. Il a d’abord demandé au directeur général, Marc Vandercammen, de lui soumettre, pour le 14 mai prochain, un plan stratégique visant à recentrer l’action du Crioc sur ses missions prioritaires. C’était d’ailleurs l’une des demandes émises par le ministre de la Protection des consommateurs, Johan Vande Lanotte (SP.A), entendu en commission de l’Economie, au Parlement. Parmi ces missions prioritaires figure la représentation des organisations de consommateurs dans de nombreuses commissions.  » Le Crioc est un fournisseur de services pour ces organismes, avait rappelé Johan Vande Lanotte. C’est là sa raison d’être et c’est pour cela qu’il reçoit de l’argent du SPF Economie. « 

La portée de ce plan stratégique sera déterminante pour le directeur général du Crioc, puisque son mandat sera modalisé en fonction des décisions prises autour de ce document, peut-on lire dans le communiqué diffusé par le Crioc, à l’issue de la réunion du conseil. Les administrateurs ont certes évoqué – en son absence, puisque Marc Vandercammen a été invité à sortir de la salle pendant une partie de la réunion – son hypothétique départ de la maison.  » Mais nous n’en sommes pas là, assure un membre du conseil. Nous attendons qu’il s’investisse dans ce qui lui est demandé, efficacement et dans un esprit positif. Le directeur sera évalué sur ce qui sera produit. Le conseil a des exigences et il entend bien les voir rencontrées. « 

Les administrateurs s’accordent en tout cas pour dire que l’essentiel, pour l’instant, consiste à assurer la pérennité du Crioc, bien davantage qu’à se focaliser sur la personnalité qui en assure la direction. Même si cet aspect des choses est important en termes d’image et de crédibilité.  » De toute manière, nous ne prendrons aucun risque « , assure Anne Demelenne.

A toutes fins utiles, le montant du préavis qui serait à verser au directeur général du Crioc, si le conseil décidait de s’en séparer, a été glissé dans l’oreille des administrateurs : il s’établit entre 300 000 et 400 000 euros. L’ancienneté que Marc Vandercammen avait accumulée lorsqu’il était en fonction à la FGTB, avant son arrivée au Crioc en 2001, doit en effet être prise en compte dans ce calcul.

Deux audits en vue

Dans la foulée de ce plan stratégique, un remaniement du bureau exécutif du Crioc (composé du directeur général, de la présidente et de deux vice-présidents) n’est pas à exclure. Pas plus qu’une autre composition du conseil d’administration. Dès lors que le Centre se recentre sur ses missions, s’interroger sur le profil des acteurs qui siègent au conseil pourrait en effet se révéler pertinent.  » Nous sommes en tout cas demandeurs de la remise en place d’une structure de bonne gouvernance « , confirme Denis Lambert, directeur général de la Ligue des familles et administrateur de la fondation d’utilité publique.

Deux audits seront également réalisés au sein du Crioc. L’un portera sur la gestion des ressources humaines dans la maison. De nombreux collaborateurs de la fondation d’utilité publique, encore en poste ou désormais occupés ailleurs, ont en effet mis en exergue une politique de gestion du personnel fondée sur un climat de terreur. Le taux de rotation du personnel pose aussi question : en cinq ans, 51 personnes ont quitté les lieux, pour un effectif total n’excédant pas 35 postes ( lire l’encadré en page 50) .

Le second audit concernera la qualité des nombreuses enquêtes que le Crioc réalise, entre autres pour les pouvoirs publics : SPF Economie, ministères bruxellois et wallon de l’Environnement, SPF Santé publique, ministère wallon de l’Agriculture. Là encore, plusieurs témoins, dont des chercheurs, avaient relaté les conditions dans lesquelles ils devaient produire des analyses qui manquaient, selon eux, de la rigueur scientifique nécessaire : absence de transparence sur le traitement des données brutes, impossibilité de vérifier la fiabilité des réponses obtenues par le call-center ou par les jeunes interrogés dans les écoles, contradictions relevées entre les résultats de différentes enquêtes sur un même sujet, etc. ( lire l’encadré en page 48) .

Les résultats de ces deux audits et les recommandations qui y seront adjointes sont attendus dans quelques mois.  » Si l’on veut une étude objective et des recommandations intelligentes, deux mois, c’est trop court « , estime un administrateur. La désignation des cabinets d’audit appelés en renfort pourrait intervenir dès le mois prochain. Les administrateurs n’ont en tout cas pas rechigné à consentir cette dépense : ces audits doivent être menés, répètent-ils.

Le conseil n’est pas resté sans réagir non plus sur la question des liens entre le Crioc lui-même, son principal responsable et la société Trade4you, une coopérative d’achat groupé d’énergie. Marc Vandercammen est en effet directeur général du Crioc tout en étant par ailleurs administrateur délégué et détenteur d’une grande partie des parts de Trade4you. Vantant régulièrement les mérites de la coopérative avec sa première casquette, il bénéficie du coup de l’afflux de nouveaux clients vers Trade4you, ce qui augmente ses dividendes.

 » Ces structures juridiques sont certes bien distinctes, mais nous voulons, pour éviter toute confusion, que les choses soient plus claires à l’avenir et couchées sur le papier, explique un membre du conseil. Nous voulons des explications précises sur les relations financières et contractuelles entre ces différents acteurs. Notre prochain conseil d’administration est prévu à la mi-avril, et nous aimerions déjà en disposer à ce moment-là. « 

Sinon ? Sur la base de tous les constats et des recommandations qui lui seront transmis, le conseil d’administration prendra les décisions qui s’imposent. La saga Crioc connaîtra donc encore quelques épisodes…

En attendant, les administrateurs du Crioc ont demandé aux différents pouvoirs subsidiants de ne pas suspendre ou réduire leur soutien financier à la fondation, afin de ne pas le mettre en péril. Plusieurs cabinets ministériels avaient en effet évoqué une possible suspension de leur dotation en attendant d’obtenir des garanties sur la fiabilité des enquêtes fournies.

La Ligue des Familles et la FGTB, qui avaient toutes deux mis des conditions à leur maintien au sein du Crioc, considèrent pour l’instant que leurs demandes ont été entendues. Les deux organisations se positionneront sur leur participation future au Centre en fonction du résultat des audits commandés.

LAURENCE VAN RUYMBEKE

 » L’essentiel est la pérennité du Crioc « 

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