Le déclic ?

Les 25 chefs d’Etat et de gouvernement tiendront-ils leurs promesses ? En mars dernier, lors de leur sommet de printemps à Bruxelles, ils s’étaient engagés à adopter la future Constitution de l’Union européenne le 18 juin au plus tard. A l’époque, les Européens semblaient flotter sur un petit nuage. Le principal opposant au projet existant de Constitution, l’Espagnol José Maria Aznar, venait de perdre les élections. La Pologne, unie à l’Espagne dans le  » non  » à la Constitution, s’empressait alors d’affirmer qu’elle était prête au compromis. A une semaine du délai fixé par les 25, l’optimisme est toujours de rigueur mais il est fortement teinté d’incertitudes.

Que se passera-t-il les 17 et 18 juin ?

La réunion commencera par le Sommet européen avec, au menu des 25, la présentation par Gijs de Vries, le coordinateur de la lutte anti-terrorisme, d’un rapport sur l’application des mesures antiterroristes dans l’Union européenne. Outre l’actualité internationale du moment, les chefs d’Etat devraient aussi décider d’ouvrir formellement les négociations d’adhésion avec la Croatie.

Les 25 devraient également choisir le successeur de Romano Prodi au poste de président de la Commission. Mais, dans les couloirs européens, on évoque le report éventuel de cette décision pour éviter qu’elle interfère avec la discussion sur la Constitution. Certains pourraient être tentés de marchander leur soutien à tel candidat pour obtenir satisfaction dans les négociations sur la Constitution.

Ensuite, les Vingt-Cinq entameront la Conférence intergouvernementale (CIG) proprement dite, c’est-à-dire les négociations sur la Constitution.

Comment se déroulent ces négociations ?

On serait tenté de dire que tout est permis. C’est le président en exercice de l’Union qui est le maître de cérémonie. Le premier ministre irlandais Bertie Ahern a, ces dernières semaines, rendu visite à chacun de ses homologues.

La négociation lors de la CIG peut aussi bien se dérouler en séance plénière (à 25 c’est difficile) qu’en petits comités, ou suivant la méthode du  » confessionnal « . Le président en exercice reçoit alors individuellement les différents chefs d’Etat et de gouvernement. Le secret entourant le confessionnal permet à chacun de dévoiler son jeu et au président de  » construire  » sa proposition de compromis qui devra être adoptée à l’unanimité par les Vingt-Cinq.

Qu’est-ce qui bloque encore ?

Le point de blocage principal mais pas unique, c’est le calcul de la majorité qualifiée, c’est-à-dire le poids de chacun dans la prise de décision. A Nice, en décembre 2000, chacun des 25 a reçu un certain nombre de voix dépendant, certes, de son poids démographique mais avec une petite correction politique. Ainsi, les 4 Grands (Allemagne, France, Italie, Grande-Bretagne) ont obtenu 29 voix chacun tandis que l’Espagne et la Pologne, pourtant nettement moins peuplées, ont, avec 27 voix, décroché à peu de chose près le même poids que les 4 grands. La Belgique de son côté a reçu 12 voix.

Dans l’Union, pour qu’une décision soit adoptée à la majorité qualifiée, il faut qu’elle recueille 258 voix sur 345 et rallie l’assentiment de deux tiers des Etats membres. Un pays peut même exiger que l’on vérifie que les partisans de cette décision représentent bien 62 % de toute la population européenne. Un système compliqué qui devrait être modifié dans la future Constitution.

Selon le projet de Constitution, une décision serait adoptée pour autant qu’elle recueille l’approbation de 50 % des Etats membres représentant 60 % de la population européenne dans son ensemble. Cela permet d’équilibrer les pouvoirs entre petits pays (très nombreux mais peu peuplés) et les grands (peu nombreux mais très peuplés). Mais ce serait, pour l’Espagne et la Pologne, un recul par rapport à ce que prévoit le traité de Nice, une perte de pouvoir que n’acceptent pas ces deux pays.

Quelles sont les pistes de compromis ?

L’une des pistes retenues par la présidence irlandaise, c’est de jouer sur les taux. Une décision serait adoptée si elle recueille non pas 50 % mais 55 % des Etats membres et non pas 60 %, mais 65 % de la population européenne. Ce qui veut dire qu’il faudra davantage de pays (ce qui bénéficie aux petits pays) et davantage de population (ce qui avantage les grands Etats mais aussi les pays moyens comme l’Espagne et la Pologne). En outre, pour bloquer une décision, le  » camp des non  » devrait représenter au moins 15 % de la population ou 4 pays.

Autre compromis possible : l’idée d’une seconde chance. Lorsque, dans un dossier délicat, plusieurs Etats se rendent compte qu’ils vont être mis en minorité, ils pourraient demander le report du vote pour tenter de rallier d’autres Etats à leur position.

Quelles sont les autres points de blocage ?

Le maintien du droit de veto dans un certain nombre de dossiers. La Grande-Bretagne refuse d’abandonner son droit de veto dans les dossiers de politique étrangère, de fiscalité, dans les dossiers sociaux mais aussi d’asile, d’immigration et de justice. A chaque nouveau traité, les plus fédéralistes tentent de  » grappiller  » des domaines supplémentaires où les décisions se prendraient non pas à l’unanimité, source de paralysie, mais à la majorité qualifiée.

La référence aux valeurs chrétiennes. Le projet actuel de Constitution, dans son préambule, affirme simplement que le texte s’inspire des  » héritages religieux, culturel et humaniste de l’Europe « . Sept pays au moins (Pologne, Lituanie, Portugal, Malte, Italie, République tchèque et Slovaquie), soutenus par le Vatican, mènent le combat pour que soit inscrite noire sur blanc une référence à l’héritage chrétien de l’Europe. Ce que refusent toujours vigoureusement les pays scandinaves, la Belgique et la France. Certains proposent de retirer le préambule de la Constitution elle-même, ce qui permettrait de présenter une Constitution sans référence à l’héritage chrétien tout en soulignant dans un document annexe le patrimoine chrétien de l’Europe (l ire aussi en page 50)

Que se passera-t-il après la réunion de Bruxelles ?

Officiellement rien n’oblige les Vingt-Cinq à conclure les négociations lors du sommet de Bruxelles. Rien, sauf leurs promesses.

En cas d’échec, les prochaines présidences de l’Union (les Pays-Bas jusqu’en décembre, le Luxembourg ensuite) pourraient très bien reprendre le flambeau et tenter de relancer le débat.

Si les 25 sont parvenus à se mettre d’accord, la Constitution sera signée mais elle devra encore être ratifiée par tous les Etats membres. Certains choisiront la voie parlementaire, d’autres le référendum. En Belgique, le Premier ministre plaide pour une consultation de la population mais, Constitution belge oblige, c’est par un vote au parlement fédéral que sera ratifiée officiellement la Constitution européenne.

Parmi les 25, seuls 4 pays (la Grande-Bretagne, le Danemark, le Luxembourg et l’Irlande) ont annoncé qu’ils organiseraient un référendum. Dans d’autres pays, le débat fait rage et la liste des consultations pourrait s’allonger dans les semaines qui viennent.

Bénédicte Villers

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