Le couple oublié

Le sommet de l’OMC, qui se tiendra du 13 au 18 décembre à Hongkong, est très révélateur de l’état géopolitique du monde : les Etats-Unis s’entendent désormais avec l’Asie et l’Amérique latine contre l’Europe et l’Afrique. En principe, cette réunion devait finaliser une négociation commencée en 2001, visant à favoriser les exportations, dont dépendent les emplois des producteurs et le pouvoir d’achat des consommateurs. Seulement, tout est bloqué : de réunion en réunion (Doha, Cancun puis Genève), aucun accord n’a pu s’esquisser. Plusieurs raisons semblent l’expliquer.

D’une part, la négociation est très compliquée : il faut comparer (et démanteler à des dates comparables) des tarifs douaniers, des mécanismes de sauvegarde, des quotas, des soutiens aux entreprises de négoce, des systèmes d’aide alimentaire et des subventions à l’exportation (classées en trois  » boîtes  » : bleue, verte et orange). D’autre part, l’OMC est une bureaucratie très lourde, dans laquelle le directeur général, le Français Pascal Lamy, a très peu de pouvoir face aux 149 pays membres, dont l’unanimité est nécessaire.

Enfin et surtout, les jeux tactiques de chaque pays sont d’une extrême complexité. Les Etats-Unis, qui ne perçoivent presque plus de droits de douane, demandent aux nations du Sud de réduire les leurs, pour pouvoir financer leurs importations de produits industriels fabriqués dans des zones à bas salaires par leurs exportations de produits industriels d’avant-garde, nommés abusivement  » services « .

Les Etats du Sud les plus avancés (comme le Brésil, l’Argentine et l’Inde), regroupés en un G 20, veulent obtenir l’accès aux marchés du monde pour leurs produits agricoles, en échange de l’ouverture de leurs propres marchés aux produits industriels et services venus du Nord. Les Etats-Unis y sont prêts, car leur agriculture est très compétitive ; mais pas l’Europe, qui préfère défendre ses acquis agricoles plutôt que de se lancer à la conquête de marchés industriels ou technologiques nouveaux. Plus précisément, le G 20 n’accepterait de réduire de 50 % ses droits sur les produits et services que si l’Europe réduisait d’au moins autant ses droits agricoles. Or l’Europe ne consent à les réduire que de 35 % ; et encore : la France (toujours à l’avant-garde des combats d’arrière-garde) estime que la Commission outrepasse ainsi son mandat par des concessions excessives !

Pendant que s’enlisent ces négociations globales, les Etats-Unis signent à tour de bras des accords bilatéraux avec tous les partenaires qui les intéressent, en Amérique latine, au Moyen-Orient et en Asie centrale. Ainsi, avec les pays européens qui abandonnent les marchés de l’avenir, les premières victimes de ces tractations seront les nations les plus pauvres, pour l’essentiel africaines, regroupées en un G 33. Et, comme l’OMC ne traite ni de l’aide au développement, ni de la dette, ni des prix des matières premières, ni du transfert des technologies, ces pays n’ont pas les moyens de participer utilement aux négociations et resteront les déversoirs des surplus agricoles européens, des produits industriels des grands pays d’Asie et des services américains.

A ce jeu, l’Europe et l’Afrique deviendront vite le couple oublié d’un monde en mouvement.

Jacques Attali

L’Europe et l’Afrique seront les premières victimes des tractations menées par les Etats-Unis au sein de l’OMC

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