En guise d’introduction à la rétrospective Tapta ouverte à Mons, Le Vif/L’Express propose une analyse de la sculpture monumentale L’Esprit ouvert exposée depuis 1997 près du WTC, à Bruxelles.
Lorsqu’elle quitte sa Pologne natale pour Bruxelles, Tapta (1926-1997) emporte de son enfance deux images fortes. La première renvoie à son environnement immédiat : la sucrerie de son père avec ses murs, ses cuves et ses machines noircis par le temps. La seconde évoque le souvenir des destructions de Varsovie avec son lot de façades calcinées, ses ruines, ses façades arrachées.
En réponse, l’ancienne infirmière devenue artiste va opter pour l’humanisme et son énergie. Mais comment matérialiser dans une £uvre ce désir impérieux, elle qui ne se sent attirée, ni par l’art figuratif, ni par l’expressionnisme ? Sans tout de suite s’en apercevoir, ce sera le classicisme grec dont elle perçoit intuitivement la puissance (face à la Victoire de Samothrace découverte au Louvre), qui peu à peu la guidera. Ses premières réalisations ne le révèlent pourtant pas. En effet, c’est davantage le tissage, via l’entrelacement de fils verticaux et horizontaux qui retient son attention. Et avec lui, la création de structures tendues au maximum qui se dressent dans l’espace ou le barrent de manière catégorique. Assez tôt, elle abandonne même le sisal d’origine végétale pour les fils d’acier et, bientôt, pour le caoutchouc noir et mat, lourd et souple. Du coup, d’autres procédures, toujours simples, prennent peu à peu le dessus : découper, déplier, plier, étendre. Souvent, la sculpture, de plus en plus monumentale, s’imagine à partir de petites maquettes, ses croquis comme elle disait. Soit une forme géométrique unique obtenue à partir d’un bout de carton. Puis avec les ciseaux, une seconde découpe à la manière d’une porte qui s’ouvre. Ce sera tout.
Mais, au fil de la réalisation en caoutchouc et, plus tard, en acier, d’autres interventions vont peu à peu amener l’£uvre à son aboutissement. Cela va du soclage au diamètre des écrous, de l’épaisseur des surfaces noires au matériau choisi pour en souligner les tranches.
Son chef-d’£uvre, L’Esprit ouvert, est inauguré au boulevard Albert II, devant l’esplanade de la place Solvay, à Bruxelles, en 1997. Cette sculpture, l’une de ses dernières grandes réalisations, est aussi la plus classique. Comme dans le Parthénon, la simplicité des procédures et des formes est de mise. Mais alors qu’à ce jeu minimaliste d’autres artistes n’échappent pas à l’impression d’un face-à-face aussi muet que statique, l’£uvre de Tapta conjugue, sur fond d’harmonie dynamique, une suite de complémentarités : le solide de l’acier et le miroitement de l’eau, le noir de la matière et la lumière des vides, la rectitude de la forme mère (un triangle rectangle) et la douceur de la découpe en arc, l’assise au sol et l’envolée indiquée par la pointe dirigée vers le ciel.
Derrière ces » artifices » formels, certains retrouveront peut-être même la qualité du classicisme d’un Polyclète. En effet, ses » Nus » avaient l’art d’inscrire une certitude tout en y incluant un petit mouvement. En réalité, le tailleur grec obtenait cet effet par une légère torsion et un hanchement du corps. Du coup, plutôt que de se livrer au regard par le seul point de vue frontal, l’£uvre invitait à en faire le tour. Donc, à se déplacer autour de l’image du sportif, à entrer en dialogue avec ses multiples aspects. Or ce type de regard proposé, créé à l’heure de naissance de la démocratie athénienne, n’était pas innocent. Serait-ce cela le sens de L’Esprit ouvert ?
Tapta, Anciens abattoirs, place de la Grande Pêcherie, à Mons. Jusqu’au 24 juillet, du mardi au dimanche, de 12 à 18 heures. www.bam.mons.be
GUY GILSOUL