Le choc des consciences

Moins flamboyant et inspiré que son prédécesseur, Les Deux Tours, deuxième épisode de la trilogie du Seigneur des Anneaux, n’en est pas moins un grand spectacle d’aventures médiévales

C’est alors qu’il était capitaine dans l’armée britannique et qu’il participait à la première bataille de la Somme, durant la Première Guerre mondiale, que J.R.R. Tolkien songea pour la première fois au récit qui allait devenir Le Seigneur des Anneaux. Pas moins de 20 000 soldats britanniques furent tués dès le premier jour de ce terrifiant affrontement, dont on retrouve d’évidence des traces dans la formidable bataille de Helm’s Deep, clou du deuxième volume de la trilogie aujourd’hui porté à l’écran par Peter Jackson. Plus classique d’approche que le flamboyant La Communauté de l’Anneau, Les Deux Tours ignore les vertiges visuels et le (génial) délire fantastique du premier film. Il se concentre plutôt sur la – parfois lente – progression dramatique menant au siège de la forteresse de Rohan par les armées surnaturelles de Saruman, surpassant en nombre et en férocité les humains que le sorcier a décidé de détruire jusqu’au dernier. Chemin faisant, Les Deux Tours explore aussi les conflits intérieurs de ses principaux personnages, en tête desquels le jeune hobbit Frodon, qui subit avec de plus en plus de mal l’influence néfaste de l’anneau qu’il porte en attendant de pouvoir le détruire…

Se reconnaître en Gollum

Frodon et son ami Sam marchent donc vers le pays de Mordor et cette tour de Barad-dûr, où règne l’esprit désincarné du sinistre Sauron et où l’anneau doit être détruit pour que vienne la paix. Sur leur route surgira Gollum, créature ignoble et pathétique qui fut autrefois un hobbit, mais que l’influence maléfique de l’anneau a déformé tant physiquement que moralement. La compagnie de cet être déchu confrontera Frodon à l’image vivante de ce qu’il pourrait lui-même devenir, s’il ne menait pas à bien sa mission… Le personnage de Gollum, à peine aperçu dans La Communauté de l’Anneau, mais crucial dans Les Deux Tours, est une création épatante mêlant jeu d’acteur et technologie dernier cri. Le comédien Andy Serkis a en effet tourné toutes les scènes où figure la créature maudite, avant que les images de son corps soient remplacées une à une, pixel après pixel, par ce qui devait devenir la version digitale de Gollum. Ce mélange intime d’humain et d’imagerie de synthèse offre un des éléments les plus mémorables du film, les autres étant l’extraordinaire bataille de Helm’s Deep et la charge des arbres révoltés de la forêt de Fangorn, piétinant puis noyant Isengard où se dresse la seconde tour, celle d’où Saruman lance ses imprécations.

Peter Jackson était conscient des problèmes posés par le deuxième épisode de la saga de Tolkien.  » Les Deux Tours n’a pas vraiment de commencement ni de conclusion, explique-t-il, et c’est sans doute le plus sombre des trois épisodes. C’est pourquoi j’ai voulu y introduire plus d’humour, afin d’alléger une atmosphère risquant de devenir trop lourde. » On comprend le réalisateur néo-zélandais, mais d’aucuns (dont nous sommes) contesteront tout de même la multiplication exagérée de gags, la prise de distance postmoderne et l’autodérision dont il agrémente un récit que l’écrivain avait maintenu dans un louable esprit de sérieux. Jackson assure qu’il n’abusera pas de ces diversions comiques dans le troisième et dernier film de la trilogie. « Vous verrez alors apparaître un équilibre global, annonce-t-il, un équilibre dont j’ai d’autant plus le souci que Le Seigneur des Anneaux n’est pas à mes yeux une suite de trois films de trois heures, mais bien en définitive un seul grand film de neuf heures qu’il faudra considérer comme un tout. »

Peter Jackson fait parfois allusion au texte de Tolkien en le désignant comme « la bible », « une référence constante, mais dont il faut parfois oser s’éloigner, parce que renoncer à sa liberté d’interprétation mènerait à sacrifier le film: Tolkien n’a pas écrit trois scripts mais trois romans, où tout n’est pas transposable à l’écran. » S’il s’écarte de la lettre, le réalisateur affirme cependant toujours respecter l’esprit de l’oeuvre littéraire originale, surtout dans sa « mise en oeuvre d’un vrai débat philosophique où il est parfois question d’affrontement manichéen entre le Bien et le Mal, mais où l’essentiel réside dans le doute, le vacillement moral de personnages souvent confrontés à l’influence que le Mal peut exercer sur eux. » Sur ce point aussi, Gollum se fait exemplaire, lui que son interprète Andy Serkis décrit comme « le personnage peut-être essentiel de la trilogie, tant il incarne littéralement le conflit exploré par Tolkien ». Dans Les Deux Tours, Gollum va jusqu’à se dédoubler littéralement pour mener la dispute entre la propension au Bien et la tentation du Mal, la voix de la conscience et celle de la méfiance échangeant leurs arguments avec la conclusion qu’on devine malheureusement.

Car le ton de la saga reste sombre. L’univers du Seigneur des Anneaux n’est pas de ceux où l’on vit heureux pour toujours avec beaucoup d’enfants. Loin du conte de fées, l’essai de création par Tolkien d’une mythologie pré-arthurienne pose sur le monde un regard lourd d’inquiétude. Dans la conclusion de la trilogie, que l’on découvrira d’ici à un an sur nos écrans, « le Bien finit certes par triompher du Mal, commente la coscénariste Philippa Boyens, mais chacun des personnages se retire marqué, en ayant laissé une part de lui-même dans l’aventure ». Il nous faudra patienter douze mois encore pour découvrir le troisième film de l’imposante saga. Peter Jackson mettra ce temps à profit pour peaufiner son montage, fignoler les effets spéciaux, mais aussi ajouter quelques scènes à la matière rapportée du méga-tournage (quinze mois!) pendant lequel l’ensemble de la trilogie fut filmé. « Chaque année, nous repartons un mois en Nouvelle-Zélande pour ces séquences supplémentaires, sourit Elijah Wood, l’interprète de Frodon: c’est à chaque fois un moment privilégié, le plaisir des retrouvailles entre nous, qu’un an et demi de tournage en continu a rendus très proches, jusqu’à faire de nous une seconde « communauté de l’anneau »… »

Louis Danvers

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