Le chat attire les foules

Vincent Genot
Vincent Genot Rédacteur en chef adjoint Newsroom

Passe-temps futile, la discussion sur Internet ? Pour le sociologue Hugues Draelants, le chat est avant tout un outil de com- munication qui permet de construire du social

Likou tit domi û Bonjour Val hihihi ! ! ! ! û Slt JP û Comment tu va ? – Ca peut aller Val, merci û Lol domi û Ptit pv nana ? û Si tu veux – salu…  » Bienvenue sur le groupe de discussion  » 15û20 ans  » du site de rencontre rendez-vous. be. A moins d’être un habitué des lieux, cinq minutes de ce charabia suffisent à vous faire décrocher. Voilà de l’eau au moulin de tous ceux qui estiment que la pratique du chat (la discussion directe en ligne, prononcez  » tchat « ) est un passe-temps réservé aux introvertis ravagés du bulbe. Un truc dont il vaut mieux éloigner ses enfants. Comment peut-on tirer quelque chose de positif de tels échanges ?  » On aurait tort de s’arrêter à cette première impression, explique Hugues Draelants, licencié en sociologie, chercheur à l’UCL et auteur de l’ouvrage Bavardages dans les salons du net ( lire l’encadré). Lorsque l’on débarque ainsi dans un chat, on ne voit que la discussion générale, la partie émergée de l’iceberg. Il faut savoir que de nombreux participants ouvrent à côté du canal principal des salons annexes pour des échanges privés en aparté. Les échanges constructifs se trouvent souvent à cet endroit. De toute manière, je ne pense pas que les ados participent à une discussion en ligne pour la pertinence du débat. Ce qu’ils recherchent dans un premier temps, c’est le groupe, l’envie de partager avec les autres.  »

D’accord pour les adolescents, mais si l’on regarde les statistiques des portails de discussion, on se rend compte que la moyenne d’âge des utilisateurs ne cesse d’augmenter (34 ans pour les femmes et 33 ans pour les hommes). Le dialogue en ligne n’est donc plus l’apanage des seuls ados, le Café du commerce moderne s’ouvre à tous.  » C’est une tendance lourde, en effet. De plus en plus de personnes s’adonnent au chat ( NDLR : notamment depuis l’intégration de Microsoft Messenger dans la version Windows Xp). A partir d’un certain âge, votre réseau d’amis est construit et les occasions de l’agrandir deviennent de plus en plus rares. Internet permet d’augmenter facilement votre cercle d’amis. On peut donc voir le Réseau comme un facilitateur de relations. Certaines sociétés commerciales ont très bien compris que le Net s’impose de plus en plus comme une immense agence matrimoniale. Le marché de la rencontre devient un plantureux business. Après une phase gratuite, de plus en plus de sites de rencontre passent au payant.  » On n’y rencontre d’ailleurs pas toujours ceux que l’on pense. La manipulation des identités est un sport fort prisé dans les salons de discussion. Pour Draelants, ce comportement est surtout le fait d’une minorité. Si l’écran dissimule bien l’apparence physique d’un individu, les symboles relatifs au statut social, au sexe et même à l’âge demeurent difficiles à camoufler. Ce qui rend crédible l’image de soi, c’est sa cohérence.  » Une personne ne peut continuellement fabuler dans le chat sans se piéger elle-même. Le but de la discussion en ligne étant d’arriver à une rencontre réelle, la majorité des utilisateurs s’éloignent finalement fort peu de la vérité. Si l’on ment sur sa personne, c’est surtout par omission.  » Dans certains cas, la possibilité de travestir sa personnalité présenterait même un aspect positif. A l’adolescence, les jeunes se cherchent, ils ont besoin de se trouver une personnalité.  » En permettant de se présenter tel que l’on n’est pas, le Net facilite l’expérimentation de plusieurs personnalités.  »

Risque d’assuétude

Reste le risque lié à la dépendance. L’image de l’accro constamment rivé à son écran a la vie dure. Et pour cause, nombreux sont les utilisateurs qui envisagent difficilement une journée sans se connecter. Draelants relativise et explique que l’on peut diviser la carrière d’un chatteur en quatre parties. Après une phase d’apprentissage technique et de découverte, l’internaute utilise massivement l’outil pour se faire de nouvelles connaissances. C’est durant cette deuxième période qu’il est le plus assidu. Survient ensuite une troisième phase où l’on note un désintérêt pour le chat tous azimuts. Dans la quatrième étape s’opère une substitution d’une pratique de chat en groupe avec des inconnus par un dialogue avec des personnes connues et rencontrées en réalité. A la fin du processus, le chatteur utilise donc la discussion en ligne comme n’importe quels autres outils de communication : pour entretenir les liens établis avec d’autres.  » Si l’on remarque une grande assuétude lors de la deuxième phase, celle-ci disparaît assez rapidement. La menace d’un asservissement au virtuel, d’une dépendance qui se donnerait à vivre sous la forme d’une conduite véritablement compulsive, semble donc mince et assez rare. Néanmoins, le risque existe. Mais le problème réside moins dans le chat comme tel que dans la personnalité propre de chaque chatteur.  » Et Draelants de s’interroger sur la manière dont la vie off line influe sur la vie on line,  » aspect encore peu étudié, à la différence de l’influence inverse « . N’importons-nous pas nos tares réelles dans nos pratiques virtuelles ? Vaste question, en effet…

Vincent Genot

 » Le Net s’impose de plus en plus comme une immense agence matrimoniale « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire