Le charisme s’invite au Reine Elisabeth

Le mythique concours a livré le palmarès de sa session chant 2014. Il couronne des personnalités qui allient musicalité et présence scénique.

« Je me sens comme dans un rêve devenu réalité !  » Les paroles fleurent bon le cliché d’un concours musical de conte de fées… Mais lorsqu’elles sont prononcées par la voix unique de la soprano Sumi Hwang, lorsqu’elles émanent de son visage tout en grâce, on accepte sans sourciller ce premier degré. En choisissant de confier la palme à cette jeune Coréenne, le jury a dévoilé ses cartes. A côté de son excellence vocale tout en homogénéité, il a perçu en elle un potentiel, un devenir, une expansion musicale en mouvement. Son premier prix consacre aussi l’intelligence de son programme. Il fallait oser clôturer sa prestation sur l’introspection mystique d’Im Abendrot, le dernier des Vier Letzte Lieder d’un Richard Strauss octogénaire. Il fallait oser intégrer Die Nachtigall de Berg. Oublié le temps où on cantonnait les chanteuses coréennes au rang de rossignol mécanique… Même raisonnement pour Jodie Devos, notre magique soprano libramontoise, dont la deuxième place a créé une jolie surprise. Voici une personnalité musicale généreuse dont la marge de rayonnement à venir semble considérable.

Emotions vives et variées

Dans le système aux trois disciplines alternées propre au concours, la session chant revêt une coloration quasi paradoxale. Côté négatif, le chant ne connaît pas le même prestige international que les sessions piano et violon. On peut par exemple s’interroger sur la carrière des précédents lauréats. Pour une Nicole Lemieux devenue star, que de parcours en discrétion, voire de retours à l’anonymat. Côté positif, les années chant jouissent d’une popularité croissante. Le public y trouve son compte d’émotions vives et variées. L’explication tient à la voix elle-même qui est le medium direct de l’affect musical. La voix chantante ne cesse de nous fasciner. Au palais des Beaux-Arts de Bruxelles, même les toussotements ambiants pour cause de climatisation s’arrêtent lorsque le chanteur y va de tout son être pour communiquer avec nous, malgré l’ombre portée de la compétition. Avec le chant, l’instrument est  » embarqué  » dans le corps de l’interprète. Il est incorporé. Il est lui et souffre avec lui. La défaillance vocale qu’a subie le baryton coréen Hansung Yoo est celle d’un corps fatigué. En demi-finale, Jodie Devos s’est évanouie après un effort vocal intense… Conséquence de cette incorporation de la voix : tout se passe comme si chaque interprète jouait d’un instrument différent.

Douze lauréats, douze instruments.  » Les voix peuvent être l’équivalent d’un violon, d’un alto, d’un violoncelle, d’une contrebasse… C’est très compliqué de choisir le meilleur parmi eux « , souligne José Van Dam, personnalité du jury. On attend de l’instrument-voix que la musique qu’il produit soit solidaire de la performance d’un corps en action. La présence scénique est devenue indissociable de la prestation vocale. Le palmarès de cette édition montre que le jury a tenu compte de cette forme de charisme. La mezzo française Sarah Laulan (3e prix) est une véritable comédienne. On se souvient de sa manière charmeuse d’interpeller le chef d’orchestre pris au dépourvu malgré sa baguette, dans l’Habanera du Carmen de Bizet. Gérard Mortier définissait José Van Dam comme un acteur-chantant. Marqué par l’emprise de l’opéra, ce modèle-là tend à s’imposer.

Philippe Marion

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