» Le Canal, ce n’est pas la Seine ou la Tamise « 

Pour l’architecte Xaveer De Geyter, Bruxelles est une ville à part, dont le potentiel urbanistique est encore très important. Explications.

Le 3 février, l’architecte belge Xaveer De Geyter était l’invité d’honneur d’une tablée réunie autour d’un plat de… résistance : l’architecture et, plus largement, l’urbanisme, réfléchis à l’échelle de la capitale. Un sujet vaste, parfois… controversé, concocté par les organisateurs du cycle de séminaires  » Lunch with an architect « , dont c’était le second rendez-vous. Parmi les convives, des architectes, promoteurs, agents immobiliers, porteurs de projets, représentants des pouvoirs publics…

Formé pendant près de dix ans par l’architecte néerlandais de renommée internationale Rem Koolhaas (atelier Oma, auteur de la Kunsthal de Rotterdam, du siège de la CCTV à Pékin, de l’ambassade des Pays-Bas à Berlin…), Xaveer De Geyter est à la tête de son propre bureau, basé à Bruxelles, depuis 1991 : XDGA. Il figure aujourd’hui parmi les structures belges les plus reconnues à l’étranger, fort de quelque 50 collaborateurs et d’une antenne à Paris, où l’architecte a signé plusieurs projets importants (l’Entrepôt Macdonalds, le master-plan Paris-Saclay…). Ce qui ne l’empêche pas d’être présent sur divers chantiers de moyenne et grande envergures à Bruxelles, à l’égard de laquelle il confie éprouver une affection particulière. Rencontre.

Le Vif/L’Express : Pourquoi avoir installé votre bureau expressément à Bruxelles ?

Xaveer De Geyter : Après beaucoup de détours, mon choix s’est porté sur Bruxelles parce que c’est une ville très vivante, tant d’un point de vue historique que démographique et social. Une ville à part. Elle n’a pas suivi les autres métropoles dans leur grand transit urbain et architectural – elle est toujours basée sur l’usage de la voiture, à l’inverse de Gand, par exemple. Elle n’est pas déterminée et cadenassée par ses origines médiévales. Elle est très faiblement peuplée, la structure des logements en son sein – des maisons de ville divisées en appartements et leurs fameuses 3 pièces en enfilade – ayant empêché un afflux démographique. Enfin, c’est l’une des rares cités où les classes sociales les plus pauvres habitent au centre-ville. Tous ces facteurs pris en compte, son potentiel urbanistique est encore très important. Elle n’est pas finie, ce qui est une pers-pective exaltante pour un architecte.

Sur quel aspect faudrait-il travailler en priorité ?

La notion d’espace public est essentielle à mes yeux. Quand je réfléchis à un projet, la question que je me pose avant toute chose est : que puis-je apporter à l’espace public ? Qu’est-ce que cela pourrait signifier ? Dans le cas de Bruxelles, il est fondamental de remettre les choses en perspective, à l’échelle. Un exemple, le métro : notre capitale est trop petite pour avoir un système de métro élaboré. Il est trop coûteux, parce que trop peu utilisé. Il faut se poser les bonnes questions et réfléchir au bénéfice de l’espace public avant tout.

Identifiez-vous l’une ou l’autre zone d’intervention ? Le quartier du Canal ?

Ce focus sur le Canal relève, selon moi, d’un certain romantisme, comme s’il allait sauver Bruxelles. Ce n’est pas la Seine ou la Tamise ! Il est loin d’être fédérateur et je dirais même que, par endroits, il forme plus une frontière qu’autre chose. Pour contrer cette réflexion, j’ai notamment proposé l’idée de le couvrir au niveau de la rue Dansaert, sans que cela gêne le passage des bateaux. Cette couverture locale participerait à atténuer la rupture sociale, démographique et topographique entre le centre-ville et Molenbeek. Cela étant, le Canal est l’objet d’une évolution ou, en tout cas, d’un tas de bonnes intentions.

Il est toutefois une zone sur laquelle les autorités bruxelloises ont agi promptement, celle du piétonnier.

C’est un sujet difficile : d’un côté, transformer le centre-ville bruxellois en zone piétonne est tout à fait justifié ; de l’autre, je ne crois pas à la ville sans voiture. Je suis pour l’urbanité, or, seule une ville qui autorise la circulation automobile peut pleinement vivre. Certes, le rapport voiture/piéton est fortement exagéré à Bruxelles, mais la solution n’est pas de supprimer purement et simplement la voiture. Il faut faire preuve de modération et, surtout, ne pas envisager la ville comme un parc d’attractions.

C’est-à-dire ?

Une ville qui vit est une ville de flux : piétons, voitures, transports en commun… Autant de va-et-vient qu’il ne faut pas cacher, masquer, mais, au contraire, réinstaller au sein de l’espace public. Pas question, pour moi, de couvrir le tunnel du Cinquantenaire, comme il en a été question un temps. C’est aussi sur cette logique de flux que je me suis concentré dans le cadre du projet de réaménagement de la place Rogier, sur lequel je travaille depuis une dizaine d’années. Autrefois, elle faisait office de point de friction entre différentes intentions. Elle accueillait la gare du Nord, déplacée par la suite afin de créer la jonction Nord-Midi, mais aussi des lignes de trams. Ces flux ont aujourd’hui changé, qui relient le métro et les trams, en sous-sol, aux bus et aux cheminements piétons, en surface. L’auvent monumental, qui est actuellement en train d’être monté et abritera bientôt une station de bus et un espace Horeca, cristallise cette multimodalité. Il encense ces trois niveaux de circulation en sous-sol, achevés. C’est presque un acte de réparation.

Le projet de réaménagement du rond-point Schuman était, lui aussi, centré sur les flux.

Oui, quoique la réflexion ait été plus poussée. Lorsque XDGA a gagné le concours, en 2011, la demande du client, Beliris, était avant tout de créer des entrées pour la nouvelle gare souterraine et le métro. Notre équipe est allée plus loin. Il faut bien se rendre compte qu’endéans les quelque 50 ans durant lesquels le pouvoir européen s’est mis en place à Bruxelles, les choses se sont faites un peu à l’improviste. Résultat ? Les structures européennes ne sont pas intégrées au tissu urbain de la capitale, ce qui, à mon sens, participe à la forme même de ce pouvoir, qui est toujours en train de se définir. Nous avons donc imaginé de  » relever  » l’asphalte et d’ainsi créer une vraie agora, un espace citoyen en plein air où deux parties se font face. De quoi accueillir le rythme soutenu des manifestations qui empruntent la rue de la Loi tout au long de l’année. Sous les gradins, des perforations de la structure font suite aux axes des rues avoisinantes. Deux échelles cohabitent : celles des instances européennes et des habitants.

Un projet qui ne se fera finalement pas.

Non. Différentes raisons ont été invoquées – le fait que le commanditaire soit Beliris alors que c’est la Région bruxelloise qui est compétente en la matière, voire un problème de budget relatif à la complexité des structures en sous-sol, pas assez bien appréhendée -, mais je pense que c’est surtout parce qu’il s’agit d’un projet subversif.

Entretien : Frédérique Masquelier

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