Le bon, la brute et le truand
Une personnalité dévoile ses oeuvres d’art préférées. Celles qui, à ses yeux, n’ont pas de prix. Pourtant, elles en ont un. Elles révèlent aussi des pans inédits de son parcours, de son caractère et de son intimité. Cette semaine : le journaliste et écrivain Franz-Olivier Giesbert.
Un rendez-vous dans une maison de production à Boulogne transposé dans un café parisien, » celui que vous voulez du moment que c’est près du dîner auquel je dois assister « . Du coup, vous attendez Franz-Olivier Giesbert dans un établissement cossu du VIIIe arrondissement. Après trois appels pour prévenir et s’excuser de son retard, le voilà qui arrive. Enfin. Le bistrot en est tout affairé d’autant que journaliste-éditorialiste-écrivain prévient : » Une équipe de télé arrivera dans une heure car je dois encore donner une petite interview. »
Et c’est avec un air de Parisien contrarié qu’entre ses yeux mi-clos, FOG vous toise avant de parler d’art ; un réflexe d’ancien timide dont il affirme pourtant que le journalisme l’en a guéri il y a bien longtemps. » C’est bon là, vous enregistrez ? » interroge-t-il du haut de ses 50 ans de métier en engouffrant une olive et en jetant le noyau dans le photophore qu’il prend pour un cendrier. Physiquement, c’est un doux mélange de Jack Nicholson et de Beethoven, un maintien raide dans un costume gris adouci par de gros favoris ouatés qui lui donnent l’air d’un vieil ourson. Professionnellement, c’est une drôle de créature qui pulvérise les ventes des journaux qu’il dirige, booste les audiences des émissions politiques auxquelles il participe et pond avec succès des romans, sa grande passion. Meilleur patron de presse pour les uns, traître à la cause pour d’autres, il débute au Nouvel Obs, débarquant de sa campagne normande à tout juste 20 ans, pour passer, quatorze années plus tard, à l’ennemi historique de droite, Le Figaro, et terminer à l’hebdomadaire de centre-droit Le Point, où il officiait comme PDG jusqu’en 2014.
La différence avec d’autres journalistes et patrons de presse ? Des confidences reçues des plus grands de la République – tous les présidents y sont passés -, que le journaliste n’hésite pas à coucher dans ses célèbres Carnets politiques ou dans ses biographies, récoltant au passage la réputation de » sans foi ni loi « . Du genre à saigner le cochon (politique) quand il est à point. Des off révélés à répétition et qui amèneront les principaux intéressés – ivres de colère – à réclamer sans succès sa tête et à le rendre aussi célèbre aujourd’hui qu’une starlette de cinéma.
FOG, c’est aussi une sorte de caméléon aux affections multiples, qui finit toujours par brûler ce qu’il a adoré. » Non, je crois que je suis un couillon ; je m’amourache, j’encense, je suis sous le charme… et quand je découvre le monstre qui est alors au pouvoir, je suis horrifié et déçu de ce à quoi j’ai contribué. » Alors, il rompt les fiançailles, secoue ses carnets de notes et exécute publiquement. » Le problème, quand vous écrivez la vérité, c’est que vous vous en voulez ensuite. Donc vous écrivez d’autres livres, pour vous rattraper. »
La torture du choix
Franz-Olivier Giesbert se réchauffe peu à peu. Il tombe la veste et démarre sur ses oeuvres d’art préférées. La première : une sculpture de Giacometti. » Ma devise préférée, c’est celle de Thérèse de Lisieux : « Moi, je choisis tout. » Donc, j’ai toujours une gêne par rapport à ce genre d’exercice, parce qu’il y a énormément d’oeuvres que j’aime. Mais bon… J’aurais bien opté pour un autoportrait de Rembrandt que j’adore, particulièrement son dernier tant il n’est « fait » que de lumières ; il est parfait. Pour moi, c’est le chef-d’oeuvre absolu. Mais pour des raisons sentimentales et personnelles, je choisis Giacometti. Je l’ai découvert dans la revue L’OEil à laquelle mes parents étaient abonnés (NDLR : le père de FOG était peintre et dessinateur et sa mère professeur de philosophie). Il m’a tellement fasciné que je me suis dit qu’il fallait absolument que je le rencontre. Après lui avoir envoyé une lettre le prévenant de mon arrivée, je débarque chez lui et, bien qu’il ne l’ait jamais reçue, il m’accueille les bras grands ouverts ; j’avais 15 ans et c’était la dernière année de sa vie. Qu’est-ce qu’il était gentil, ce mec ! Mais attention, c’est pour son talent que je l’aimais tant. » Bien, mais pourquoi cette sculpture ? » On raconte beaucoup de conneries sur elle. « Cet homme est triste, anorexique, du genre à porter le poids du monde » « , balance-t-il en enrobant l’air. » Alors que si on le regarde bien, cet homme avance, il sait très bien où il va. Il est déterminé mais sans se faire trop d’illusions sur l’avenir non plus. Un peu comme Giacometti qui se consumait pour sa vision. »
Et lui, il marchait vers où ? L’intéressé élude : » Peut-être que je me reconnais un peu dans cette oeuvre. Force et énergie… Et aussi fatalisme : on sait qu’on marche tous vers le même endroit, la mort. En même temps, il ne faut pas en faire une histoire, il faut continuer à avancer. » A l’évocation de sa sensibilité, qu’il semble partager avec l’artiste, FOG acquiesce, sèchement, mais se défend d’en user comme journaliste. » C’est un métier dans lequel il ne faut surtout pas trop en avoir. Dans lequel il faut garder l’esprit détaché. » Certes, mais pour recueillir les confidences les plus intimes ou les plus fielleuses, il doit bien y avoir un secret ? » Je crois que c’est parce que je les fais marrer, je leur raconte deux ou trois blagues, quelques ragots. Vous savez, le journalisme est un métier rempli d’égocentriques, or pour bien faire ce métier, il ne faut pas d’ego. Quand je vais voir un politique de renom, je pense à tout ce que je vais lui raconter pour l’intéresser, pour l’accrocher. Car dans le fond, ils ont souvent besoin d’un peu de distraction, les mecs. Mes limites, ce sont celles de l’autre. Quand le bouquin sur Chirac a bien marché, tout le milieu hurlait en disant que je l’avais trahi, mais c’est une méconnaissance totale du off. J’ai beaucoup travaillé aux Etats-Unis (NDLR : comme grand reporter pour L’Express) où on fait très bien la distinction entre ce qui est dit une fois le micro fermé et le deep underground, soit toutes ces choses que vous savez et que vous n’écrirez jamais. Moi, je prends toujours des notes et si la personne n’est pas d’accord, elle m’arrête et je pose mon stylo. Mitterrand faisait ça souvent, il me disait » ça non » ou » ça plus tard « , là j’arrêtais de noter car c’était le deep underground. Mazarine, je savais et je n’en ai rien dit. Chirac aussi m’a fait plein de confidences, comme le fait que sa vie privée était un échec sur toute la ligne, mais ça je ne l’ai jamais écrit. Mais c’est vrai que je suis un peu voyou « , rougit-il à moitié, mais mine fière quand même.
Lui, il se livre, allègrement. De son enfance normande, durant laquelle son père plâtrait régulièrement sa mère et son fils, au viol dont il fut victime (un voisin semble-t-il), FOG n’hésite pas à se désaper et à se couvrir de cendres pour mieux se raconter dans ses romans. De beaux succès littéraires, quelques prix (Interallié, Académie française…) et la reconnaissance de ses pairs qu’il admire tant.
Le délice de l’atrocité
Parmi la quinzaine d’oeuvres qu’il avait sélectionnées, Franz-Olivier Giesbert décide d’en sortir une deuxième. Encore une sculpture, de Camille Claudel cette fois. L’Age mûr. » Ah, j’adore ce truc ! Autant c’est absurde de dire que l’homme de Giacometti marche vers la mort, autant ici on est en plein dedans. Cette oeuvre est atroce car c’est l’âge… Cet âge qui se rapproche pour mieux vous emporter. C’est véritablement monstrueux. Comment est-il possible de faire une sculpture d’une noirceur aussi épouvantable ? D’accord, Claudel était folle à lier mais c’est quand même vachement culotté. C’est un délire d’atrocité, mais que j’aime vraiment bien. Quand on la voit, on ne l’oublie plus. Ça aurait pu être kitsch mais non, c’est juste violent et très réussi. »
FOG réfléchit, quelques secondes, puis reprend : » La vieillesse, ce n’est pas drôle mais ça prouve au moins que vous n’êtes pas mort ! C’est amusant, car vous commencez à réaliser que vous êtes vieux le jour où vous laissez des poils sur votre visage quand vous vous rasez le matin. Jeune, j’observais ça chez les autres et puis un jour, c’est votre tour… Heureusement, j’ai toujours eu cette chance extraordinaire de ne jamais m’aimer. C’est une chance car pour diriger des gens ou les manipuler, il ne faut pas s’aimer, il faut juste faire semblant d’avoir un ego. Par contre, j’ai aimé, beaucoup. Cinq femmes au total, c’est beaucoup vous ne trouvez pas ? En tout cas, je trouve que c’est trop… Sans compter les gosses qui, eux, ne comprennent jamais ce genre de choses (NDLR : 2 divorces, 5 enfants). »
Et, sans transition : » Pour en revenir à la mort, moi, je veux mourir vivant. La vie c’est une assiette pleine et il faut empêcher que la mort vous la prenne. J’ai toujours pensé qu’il fallait vivre chaque jour comme si c’était le dernier. Encore aujourd’hui, je viens de me faire enlever une tumeur sur le visage et ça renforce d’autant plus mon désir de vivre. Mon cancer, en 2003, avait déjà renforcé mon amour de la vie, mon désir de perdre moins de temps, d’aimer encore plus ceux que j’aime. » Même s’il avoue qu’il ne voulait pas mourir au » journal « , comme d’autres, il redoutait tout autant d’y rester trop longtemps et de devenir comme ces patrons de presse un peu aigris qui finissent par empêcher le journal de se développer. » Alors j’ai décidé d’arrêter… Mais n’allez pas croire que ça a été facile. Je me suis même fait une petite dépression… Mais avant ! Le plus dur, en fait, c’était de sauter le pas. On dit souvent que la politique est une drogue dure, mais le journalisme est bien pire encore… »
Dans notre édition du 2 décembre : Stéphane De Groodt.
PAR MARINA LAURENT • PHOTO : DEBBY TERMONIA
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici