Le bon grain et l’ivraie

Tout de même, puisqu’on fait leurs comptes et qu’eux-mêmes participent activement à cette indiscrétion, c’est beaucoup d’argent que le fisc réclame à MM. Ducarme et Fournaux ! Ce qui signifie qu’ils ont commencé par en gagner beaucoup et même, par comparaison avec la grande majorité des contribuables, énormément. Qu’en ont-ils fait puisque, avec leur aveu, on en est à nous mêler de ce qui, en principe, ne nous regarde pas ? Gémir sur son sort de contribuable nous met presque tous à la même antienne. Mais, enfin, MM. Ducarme et Fournaux sont là pour réformer la loi fiscale s’ils la trouvent injuste et, que l’on sache, ni l’un ni l’autre ne l’ont fait. A les entendre, ils sont victimes d’un système qu’eux-mêmes pouvaient essayer de changer. En dernière analyse de leurs propos, il serait scandaleux, non pas tellement que le fisc soit boulimique, mais qu’il s’en prenne à leurs personnes. Ce serait un crime de lèse-politique. Comment ose-t-on traiter des gens comme eux de vulgaires tricheurs : tel est le sentiment qu’ils étalent.

Il n’est pas douteux, encore une fois, puisque eux-mêmes nous incitent à faire leurs comptes, qu’ils appartiennent à une classe élevée de contribuables, que leurs revenus sont élevés. Certes, il est banal de remarquer que la plupart des citoyens, quels que soient leurs revenus, estiment que ce n’est pas encore assez, ou tout au moins que ce n’est jamais trop. C’est leur philosophie de l’existence, leur but étant, et ils s’en vanteraient presque : gagner le plus possible et payer le moins possible. C’est apparemment à quoi ils consacrent leur temps, leurs efforts et leurs pouvoirs. Comment ne pas s’interroger sur l’idéologie politique de gens pareils ? Quelle société les comblerait ? Celle où un article de la Constitution, calqué sur l’inviolabilité de la personne du roi, stipulerait que les ministres et les députés sont au-dessus du sort commun et qu’il appartiendrait à certains citoyens de se soustraire aux lois ?

Les cas de MM. Ducarme et Fournaux seraient proprement négligeables û il y a tant et tant de contribuables en retard de paiement ! û si on ne devait se demander quelle est finalement leur idéologie, et quelle est celle du parti auquel tous deux se sont ralliés, en connaissance de cause, on peut l’imaginer. Les libéraux n’ont jamais caché qu’ils étaient contre l’impôt, contre ce que Jean Gol appelait  » la rage taxatoire « . A cet égard, c’est et ce fut toujours un parti politique parfaitement pur, incohérent mais pur. Incohérent puisqu’enfin, quelles que soient les lois, quel que soit le système, on ne voit pas comment gouverner un pays sans disposer de moyens financiers, donc sans prélever d’impôts. C’est bien l’avis d’un ministre MR comme M. Reynders qui se réjouit avec raison que la dette publique soit ramenée à  » seulement  » 100 % du produit national, grâce aux efforts accomplis, entendons : grâce à ce que nous avons tous durement consenti.

Je serais tenté de dire qu’on peut tout pardonner aux politiques. Pour ma part, je n’ai jamais eu vocation à les vilipender, convaincu que je suis que, dans leur immense majorité, ils font ce qu’ils peuvent du mieux qu’ils le peuvent, tout sauf la mauvaise foi. Nous avons à cet égard deux exemples quasi allégoriques avec MM. Ducarme et Fournaux. Ce qui est stupéfiant est en effet que le parti politique auquel ils appartiennent les accepte en son sein et, partant, les couvre ! Quelle est donc l’idéologie du MR et jusqu’où poussera-t-il l’indulgence vis-à-vis de deux politiques d’une médiocrité intellectuelle flagrante et d’un sens moral aussi inconsistant ?

Franchement dit, le pire ennemi du Mouvement réformateur, qui n’est pas une formation méprisable et dont on comprend qu’il séduise des électeurs, est de ne pas savoir trier le bon grain de l’ivraie, de son propre point de vue ! l

Philippe Toussaint, rédacteur en chef du Journal des procès

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