Garrett List était particulièrement attaché à cette oeuvre monumentale et à sa signification intime. © philippe cornet

L’autre List

Parti vers les étoiles fin 2019, l’Américain de Liège Garrett List, tromboniste, improvisateur et compositeur contemporain, est honoré ces prochains mois par l’interprétation de son oeuvre majeure, inédite dans son intégralité, Music For Trees.

Garrett List (1943 – 2019) avait une sacrée descente. En témoignent le nombre abondant de musiques créées, de collaborations multiples des deux côtés de l’ Atlantique et son côté bon vivant, pour ne pas dire breughélien. Un homme grand et rieur, fort sympathique, parlant une langue française noyautée par l’accent des origines. Né en Arizona, il a côtoyé le New York flamboyant et foutraque des années 1960-1970. Fréquentant la prestigieuse Juilliard School mais aussi l’amplitude du monde musical qui s’étend du Radio City Music Hall – où il est embauché comme instrumentiste – au NY polychrome, de Luciano Berio à Talking Heads. Rock, free, jazz, blues, noisy, barré, avant-gardiste. Voire craignos, à l’image d’une ville alors au bord de la banqueroute financière et morale. Ce que nous précisait List, un jour de discussion liégeoise: « On était au tout début des années 1980. J’ai vu un gars sur un trottoir de Manhattan, les tripes littéralement à l’air et personne n’y prêtait attention. Je me suis dit qu’il était temps d’aller voir ailleurs… » Par diverses connexions, dont celle du compositeur Henri Pousseur, il atterrit dans la Cité ardente. Il y restera jusqu’à sa fin de vie. Sa classe d’impro au conservatoire de la ville a marqué plusieurs générations de jazzmen, dont Fabrizio Cassol, saxophoniste et compositeur d’ Aka Moon.

Garret avait un côté très visionnaire, à la fois débonnaire et terriblement lucide sur l’analyse du monde.

Un homme « nourri d’émotion »

De Garrett List, on se rappelle en particulier le spectacle Into the Riff, au mitan des années 2010. Il y chante, danse et improvise en compagnie d’autres musiciens mais aussi de la compagnie menée par le chorégraphe, Américain de Bruxelles, Bud Blumenthal, qui se souvient de son fiévreux compatriote: « Pour Into the Riff, Garrett voulait que musique et danse improvisent ensemble sur scène. Huit personnes ont travaillé sur ce projet pendant dix ans… On a trouvé tous les deux notre liberté en Belgique, comme gens de gauche, expatriés avec les mêmes codes et un passé commun. C’était un homme d’une grande rapidité intellectuelle. Complexe, débordant de joie, pouvant également virer cynique, voire paranoïaque, mais nourri d’émotion. Et puis, on a eu aussi l’occasion de travailler sur sa création, Music For Trees, pour laquelle il m’avait demandé une chorégraphie pour plusieurs heures de musique. »

Cette oeuvre, originellement composée pour synthétiseurs entre 1986 et 1989, mutera au fil du temps, introduisant l’acoustique et l’orchestral dans la narration. Plantureuse, elle l’est aussi par son sujet, ancré dans la terre/Terre, célébrant le fondamental de l’arbre. De l’ancrage aux racines et à la beauté du monde – mais si… – List créera la matrice de l’hommage qui lui est rendu depuis le 10 février, date de la première interprétation des vingt-quatre pièces de cette Musique pour les arbres par une trentaine d’instrumentistes, dont les membres de l’Orchestra ViVo! , compagnons de route de List pendant dix ans, rejoints par une foule d’autres musiciens sous la conduite de deux directeurs artistiques, Adrien Lambinet et Manu Louis, proches, eux aussi, du tromboniste.

Une heure, un arbre

Chargée de production et de communication du projet Music For Trees, Marie-Pierre Lahaye, que List épousa en 2008, explique que le choix de cet hommage est la double conséquence de l’attachement du musicien américain à cette oeuvre monumentale et de discussions avec les partenaires et complices de List. « Un autre facteur important pour Garrett était aussi la signification intime de cette oeuvre, insiste Marie-Pierre Lahaye. Comme moi, il se réclamait du bouddhisme. D’où ce lien entre la musique et les arbres, au travers des vingt-quatre pièces qui la composent, chacune correspondant à une heure de la journée. Histoire de rappeler une harmonie perdue. Par exemple, le cactus de l’ Arizona à midi. Chaque concert reprendra certaines de ces séquences boisées. C’est l’éclectisme de Garrett qui a convaincu tous les participants à ce vaste hommage: des quatre centres culturels qui nous ont soutenus jusqu’ à l’Opéra de Liège, le conservatoire ou encore l’OPRL. »

La femme du compositeur s’enthousiasme encore sur l’universalisme de l’oeuvre, sur les cinq continents représentés, ses multiples dimensions – littéraire, musicale et même picturale avec la présence sur scène d’une oeuvre de quatre mètres sur trois: « Garrett était quelqu’un de profondément humain, qui vivait pour la musique. D’entier dans son engagement. Ayant un côté très visionnaire, à la fois débonnaire et terriblement lucide sur l’analyse du monde. C’est aussi pour cela que comme enseignant, il a eu autant d’influence: il pouvait voir dans ses élèves le moyen d’accoucher de leur vision personnelle. »

Au Philharmonique de Liège, le 30 mars et le 26 novembre, au Mithra Jazz, à Liège, le 12 mai, au Gaume Jazz Festival, le 12 août.

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