L’art de lire

Guy Gilsoul Journaliste

Les livres d’art sont aussi des livres à lire et, donc, à voyager. Du beau livre au poche, voici quelques suggestions pour cet été.

Le Principe de l’axolotl & suppléments par Gilles A. Tiberghien

On serait bien avisé de glisser cet essai sur les voyages de Gilles A. Tiberghien dans sa valise. L’auteur dont le nom est souvent associé au premier ouvrage en français sur le land art, nous entraîne cette fois au c£ur du sentiment de  » dépaysement « . Il ne suffit pas, nous rappelle- t-il, de se déplacer pour voyager. Le voyage est une aventure qui trouble nos réalités et élargit nos horizons tout en impliquant notre imaginaire. Et de rappeler les expériences aussi diverses que celle du surréaliste Wolfgang Paalen au pays de l’axolotl, de l’anthropologue Malinowski ou encore de Salmanazar qui, au XVIIIe siècle, publie un récit de voyage (sur l’île de Formose) dans lequel il invente tout à la fois un lieu, ses habitants, leurs coutumes et… sa personnalité d’explorateur.

Actes Sud, 160 p.

Mark Rothko. Rêver de ne pas être par Stéphane Lambert

Après avoir été profondément troublé par les Nymphéas de Monet, Stéphane Lambert affronte l’£uvre de Rothko. Et tout d’abord, en voyageant. Le voilà donc d’abord à Daugavpils dans le sud-est de le Lettonie actuelle où le peintre ouvre les yeux sur le monde. Lambert interroge la ville, sa lumière, ses vides. Puis il se rend à Londres, à la Tate Modern. Enfin, il rejoint la chapelle de Houston qui, comme l’Orangerie à Paris, accueille un ensemble de 13 toiles. Au fil des pages, l’auteur livre autant une recherche sur l’£uvre et le peintre que sur les conséquences de son regard sur sa quête de poète.

Les Impressions nouvelles. Collection Traverses, 109 p.

André Gide ou la tentation nomade par Jean-Claude Perrier

 » Partons ! Et ne nous arrêtons que n’importe où…  » Cette phrase titrée des Nourritures terrestres ne fait pas de l’écrivain un globe-trotteur, ni un explorateur d’exotismes, mais un homme qui ne peut rester  » en place « . Or, dans un même temps, il aime vivre ces instants d’ailleurs dans une maison, un jardin, une famille, des amis. Bref, avec lui, le voyage devient un art de vivre et, comme le rappelle l’auteur,  » un réservoir inépuisable de souvenirs « . Depuis son premier voyage en Angleterre, à l’âge de 18 ans, jusqu’à son ultime séjour italien en 1950, voilà bien une manière discrète et profonde d’approcher l’écrivain.

Flammarion, 192 p.

Le Faust de Goethe illustré par Delacroix

Le mythe de Faust remonte au XVe siècle et se construit à partir du récit de la vie d’un charlatan astrologue. Lorsque Goethe reprend ce conte, il a 37 ans. Il en terminera l’écriture à 82 ans. Faust cherche à percer tous les mystères de la vie. Tenu en échec, il a alors recours à Méphis- tophélès qui, en échange, réclame son âme. Commence alors un voyage au c£ur des ténèbres jusqu’au jour de la rencontre avec Marguerite. En 1825, le jeune Delacroix découvre le conte. Deux ans plus tard, il livre une suite de 18 lithographies qui vont enthousiasmer Goethe lui-même. A son tour, Gérard de Nerval propose une traduction du texte allemand. L’ouvrage regroupe les trois talents. A savourer avec lenteur.

Diane de Selliers, la petite collection, 296 p.

Ecrire la sculpture Introduction Sophie Mouquin et Claire Barbillon

C’est sans aucun doute le  » beau livre  » de l’été. Comme d’habitude chez cet éditeur, les illustrations (350) sur fond sombre sont superbes. Mais les textes, à leur tour, font aussi l’intérêt de l’ouvrage. D’où la recherche, pour des £uvres qui vont du Laocoon du Ier siècle av. J.-C. à L’Araignée imaginée par Louise Bourgeois en 1995, des plus beaux écrits. De Virgile à Kristeva, des rencontres subtiles et profondes. Ce face-à-face du texte et de l’£uvre réserve d’heureuses retrouvailles et quelques belles surprises. Umberto Eco et Arman, Francis Ponge et Germaine Richier, Tahar Ben Jelloum, Yves Bonnefoy ou Sartre et Giacometti, Aragon et Picasso, Rilke et Rodin Segalen et Gauguin… Le plus souvent, ce sont des contemporains. Pas toujours comme lorsque Valéry évoque Houdon ou que Dominique Fernandez affronte les figures grimaçantes de Franz Xaver Messerschmidt.

Citadelles & Mazenod. 520 p.

Auguste Rodin par Jane Mayo Roos

La célébrité de Rodin a créé un mythe Rodin fait de raccourcis spécieux et d’anecdotes douteuses. L’auteure y met bon ordre en analysant l’homme et l’£uvre à partir du point de vue du XIXe siècle. Ainsi des critiques négatives dont il est facile de se moquer mais qui portent, en elles, une vision légitime de la sculpture par rapport à laquelle on mesure toute la nouveauté de Rodin. De la même manière, retrouver la manière dont se pratiquait le métier de sculpteur au temps de Rodin est à son tour éclairant. Et, de même, les pertinentes évocations des actualités sociales, politiques et artistiques.

Phaidon, 240 p.

Richard Serra. L’Origine de la gravité par Daniel Klébaner

Deux longs murs courbes qui s’opposent dos à dos, laissant au promeneur la possibilité de s’infiltrer afin d’en mesurer la menace. L’immense sculpture de l’Américain Richard Serra posée en plein c£ur des Tuileries, à Paris, en laissa plus d’un sans voix. Sauf pour en réclamer le déplacement. Ce qui fut fait. Au Grand Palais, quelques années plus tard, de très hautes stèles en équilibre précaire firent l’admiration de tous. Mais que cherche à nous dire l’artiste ? En une centaine de pages d’un texte dense, l’auteur décrypte cette £uvre au regard de l’art, de l’histoire de la sculpture, de la physique et de la philosophie. Notons, dans la même collection, une trentaine de titres allant d’Henri Michaux à Lucian Freud, en passant par Eduardo Arroyo et Frank Stella.

Ides et Calendes, collection Polychrome, 118 p.

Regards sur les objets de dévotion populaire sous la direction d’Isabelle Darnas et Agnès Barruol

Ce sont souvent de petites choses fragiles et populaires fabriquées avec des matériaux pauvres. Ce sont aussi des objets religieux (magiques ?) qui participent à des rituels liés à la vie et à la mort. Ce sont des £uvres en voie de disparition. Par manque de soin, d’attention, de classement. D’où ces actes d’un colloque qui s’est tenu à Mende (Lozère) en 2010. L’intérêt de ces lectures vient de leur dimension souvent anthropologique qui, du coup, fait vivre tout un pan de notre culture. Connaissez-vous La Vierge à la daurade (Toulouse), les cires de deuil (région Pyrénées), les sanctuaires marins du Morbihan ou la riche collection de papiers roulés de Montauban ?

Actes Sud, 206 p.

Les Nouveaux Cabinets de curiosité par Emmanuel Pierrat, photos de Michel Reuss

Oui, les adeptes des cabinets de curiosité sont de plus en plus nombreux. Mêlant étrangetés, arts populaires, arts savants, naturalia, curiosa, objets de voyance et de sciences exactes, ils brassent le monde et les frontières tout en envahissant ici une chambre, là un bureau, une salle de bains ou encore une pièce au seul collectionneur réservée. Les confrontations sont étranges, inattendues. Elles participent souvent d’une sorte d’autoanalyse y incluant fantasmes et désirs refoulés. Des univers aussi enchantés qu’hallucinants.

Les Beaux jours, 190 p.

Mad Men. Un art de vivre par Nathalie Azoulai

Voyager, c’est aussi traverser le temps. Le succès de la série télévisée mettant en scène une certaine Amérique des années 1960 s’explique par la précision historique, non pas des faits mais surtout du cadre de vie : décor, costumes, attitudes, tics de langage, gestes convenus, tout est là pour nous emmener vers un passé dont nous gardons les traces dans nos décors. L’ouvrage décode tout ce petit univers, sa partie visible, ses faces cachées.

La Martinière, 144 p.

GUY GILSOUL

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