L’arme du dialogue

Josep-Lluis Carod-Rovira est le secrétaire général du parti indépendantiste catalan ERC. Il y a six mois, il rencontrait en secret les dirigeants d’ETA

Trois jours après les attentats de Madrid, contre tous les pronostics, les élections législatives espagnoles consacraient la victoire des socialistes et de Zapatero. Un scrutin historique, qui était aussi marqué par le bond fulgurant de l’ERC. Indépendantiste, républicaine et social-démocrate, la formation catalane a recueilli près de 16 % des voix. Trois fois plus qu’en 1999 ! Personnage singulier, son secrétaire général, Josep Lluis Carod-Rovira, est un ancien opposant au dictateur Franco. En décembre dernier, il a organisé avec la direction d’ETA une rencontre clandestine en France.

Le Vif/L’Express : Quelles sont les raisons qui expliquent la progression spectaculaire de l’ERC ?

Josep-Lluis Carod-Rovira : Ces résultats s’inscrivent d’abord dans une tendance générale. Notre formation est dans une courbe ascendante depuis plusieurs mois. L’année dernière, déjà, aux élections municipales et régionales, nous avons obtenu de très bons scores. Ensuite, l’agressivité caricaturale du gouvernement Aznar a certainement joué en notre faveur. Celui-ci avait une politique si ouvertement anticatalane que, forcément, il y a eu une réaction. Le torrent de calomnies qui s’est abattu sur moi après ma réunion avec ETA, c’était en fait une offensive contre la Catalogne démocratique. Les gens l’ont compris, et ils ont canalisé leur colère en votant pour nous.

Vous pensez vraiment que, malgré la chute du fran- quisme, la Catalogne est toujours opprimée ?

La situation a bien entendu évolué, mais l’Espagne ne nous reconnaît toujours pas le droit d’exister en tant que nation. Sous les gouvernements socialistes, les relations avec l’Espagne sont restées supportables. Mais, avec l’arrivée du Parti populaire (PP) au pouvoir, on a assisté à un véritable retour en arrière. Par une multitude de lois, le gouvernement a voulu renforcer une conception centraliste et autoritaire de l’Etat. Du coup, ici, il a été de plus en plus mal perçu. Pour le peuple catalan, Aznar est devenu un personnage quasi extraterrestre.

Concrètement, que deman- dez-vous aujourd’hui ?

La même chose qu’hier : l’indépendance. Ce n’est pas que nous soyons meilleurs que d’autres peuples, mais nous possédons tout simplement une réalité nationale distincte. Celle-ci ne repose nullement sur une conception ethnique . Sont catalans tous ceux qui le désirent, peu importent le pays où ils sont nés et la langue qu’ils parlent chez eux. Personnellement, je ne me considère d’ailleurs pas du tout comme un nationaliste. Je suis un Catalan de gauche qui veut l’indépendance de son pays. Pourquoi ? Parce que l’amélioration de la qualité de vie passe par l’accès à la souveraineté. Dans une Catalogne libre, la population vivra mieux qu’aujourd’hui.

L’indépendance, vous y croyez vraiment ?

Oui, je suis optimiste. Sur les dix Etats qui viennent d’entrer dans l’Union européenne, sept sont plus petits que la Catalogne, et six n’existaient pas en 1990. D’autre part, parmi les nouvelles langues officielles de l’Union, seul le polonais est davantage parlé que le catalan. Je ne vois donc pas d’obstacles insurmontables pour refuser notre existence en tant que peuple au sein de l’Union européenne.

Votre rencontre avec ETA a été condamnée par tous les autres partis politiques. Vous ne la regrettez toujours pas ?

Je regrette beaucoup de choses, bien sûr. Mais le sens fondamental de ma réunion, je ne le renie pas. Je persiste à croire qu’on ne résoudra pas le problème de la violence au Pays basque uniquement par les voies policière et judiciaire. A la fin du xxe siècle, il y avait en Europe trois terrorismes de dimension identitaire : l’Irlande, la Corse et le Pays basque. Aujourd’hui, les deux premiers n’existent pratiquement plus. Pourquoi ? Parce que, en plus des moyens antiterroristes habituels, on a utilisé  » l’arme  » du dialogue. l

Entretien : F.B., à Barcelone

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