L’appel des sirènes

Fausse alerte à Tihange! Le mouvement d’humeur de la Protection civile révèle un découragement lancinant et profond. Le gouvernement n’a pas tenu ses promesses

Ils y ont été fort, les gars de la Protection civile, le 27 novembre dernier, en déclenchant les sirènes d’alarme des centrales nucléaires de Tihange et de Doel. C’était leur signe de protestation contre le sort qui leur est réservé dans le plan Corpernic. Pour le coup, ils se sont montrés… peu civils, voire irresponsables. Car les alertes ont provoqué quelques scènes de panique aux alentours des centrales. Les conséquences de ce geste auraient pu s’avérer bien plus graves. Cela dit, ce n’est pas par hasard si ces hommes chargés d’aider et de protéger la population ont pris de tels risques pour médiatiser leur mouvement de grève. Leur initiative insensée révèle l’ampleur de leur ras-le-bol. Deux jours plus tard, les agents de la caserne de Crisnée ont écrasé un de leurs véhicules avec une pelle mécanique! Vous avez dit ras-le-bol?

Ils interviennent dans toutes les catastrophes: tempêtes, inondations, accidents ferroviaires, camions-citernes de mazout renversés sur la chaussée, spéléologues coincés dans un trou, enveloppes suspectes remplies de poudre blanche trouvées dans des agences bancaires ou des bureaux de poste en pleine psychose de l’anthrax… Ce sont eux qui, récemment, ont ramassé les 30 tonnes de betteraves répandues sur la route, à Faimes, par un semi-remorque. Eux encore que l’on a appelés à Athis, le mois dernier, lorsqu’un tracteur fou a dévalé une rue pour atterrir dans le pignon d’une maison. C’est un homme de la Protection civile qui a plongé dans une fosse sceptique, à Jurbise, pour tenter de retrouver le corps d’Alvarez Derumier, le « roi de la pizza » disparu depuis le mois de juillet dernier.

« Pour toutes ces tâches exceptionnelles, nous sommes considérés comme des agents administratifs, alors que les règles de recrutement sont beaucoup plus contraignantes que pour un fonctionnaire classique, explique Marc Saenen, délégué CSC. Nous devons passer des épreuves sportives, avoir le permis de conduire poids lourds, etc. Autant d’exigences qui ne sont pas valorisées. Nous ne touchons même pas de prime de danger, comme les pompiers, bien que nous prenons généralement autant de risques qu’eux. Les primes de week-end et de services de nuit n’ont pas été indexées depuis 1995. » Et le salaire d’un agent de la Protection civile (salaire net pour un agent statutaire, ayant cinq ans d’ancienneté: 11 000 euros par mois) est de 30 à 40 % inférieur à celui des pompiers des services d’incendie (1).

Bref, statut médiocre du personnel, faibles moyens, matériel onéreux parfois acheté en dépit du bon sens (comme cette suceuse de boue, à Ghlin, qui ne sort jamais de la caserne parce qu’elle est trop lourde pour le châssis du véhicule censé la transporter)… Rien ne va plus à la Protection civile. Une réforme est pourtant attendue depuis le début de la législature. En mai 2000, à l’issue d’un travail de réflexion parlementaire approfondi, le ministre de l’Intérieur Antoine Duquesne (MR), avait évoqué à la Chambre la possibilité d’intégrer tous les services de secours (Protection civile, pompiers, aide médicale urgente), sous le concept commun de sécurité civile. Bref, après le lifting de l’armée et la réforme des polices, c’était au tour du troisième pilier de la sécurité publique, celui des services de secours, de changer de peau.

En effet, ces derniers sont souvent mal répartis sur le territoire, leur collaboration en souffre et le statut des différents personnels est pour le moins hétérogène (rien que pour les pompiers, qui dépendent de l’autorité communale, on dénombre près de 300 statuts différents). Ce qui s’explique, notamment, par le nombre très élevé de volontaires que l’on compte dans ces services (exemple: un tiers des pompiers seulement sont professionnels) et pour lesquels le niveau de formation n’est pas le même. « Mais le chantier de la réforme a été complètement abandonné, déplore le sénateur Georges Dallemagne (CDH), auteur d’un rapport parlementaire sur le sujet. On peut, dès lors, comprendre le désespoir des 700 hommes de la Protection civile auxquels on a fait de belles promesses, depuis des années, sans jamais rien concrétiser. C’est une erreur d’autant plus préjudiciable que le risque terroriste, dont on parle tant aujourd’hui, met les services de secours en première ligne! » Il faudra attendre le prochain gouvernement…

Thierry Denoël

(1) Les dispositifs de sécurité avant et après les attentats du 11 septembre, Thierry Coosemans, Courrier du CRISP n° 1762

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