L’apocalypse selon Beatus

Guy Gilsoul Journaliste

On ne sait rien ou presque de ce prêtre appelé Beatus, dont l’ouvre aujourd’hui disparue sera copiée et abondamment  » consommée  » durant plus de quatre siècles. Illustrations d’un copiste de l’Apocalypse.

Tout commence, au viiie siècle à l’heure où l’Espagne vit sous la domination des musulmans. Les chrétiens sont rares et recherchent des abris. Le royaume des Asturies sera l’un d’eux et plus particulièrement encore la vallée de Liebana. Protégée par les monts Cantabriques, elle sert de refuge non seulement aux prêtres et aux moines, mais aussi aux reliques et aux manuscrits sacrés.

Parmi eux aurait échoué là une copie du célèbre texte de l’Apocalypse. Daté d’un temps, le ve siècle, où les visions de saint Jean sur l’île de Patmos avaient donné lieu à bien des mosaïques et des fresques des églises paléo-chrétiennes, il tombe entre les mains d’un simple prêtre qui le lit et y retrouve ses propres convictions : la fin du monde annoncée. Une menace, un appel qu’évoque, sur le ton visionnaire, l’apôtre Jean dès les premières lignes :  » J’entendis derrière moi, y explique-t-il, une puissante voix, telle une trompette, qui proclamait : ce que tu vois, écris-le dans un livre, et envoie-le aux sept églises… et m’étant retourné, je vis sept chandeliers d’or et, au milieu d’eux, quelqu’un qui semblait un fils d’homme. Il était vêtu d’une longue robe, une ceinture d’or lui serrait la poitrine… Dans sa main droite, il tenait sept étoiles, et de sa bouche sortait un glaive acéré, à deux tranchants… A sa vue, je tombai comme un mort à ses pieds, mais il posa sur moi sa main droite et dit :  » Ne crains rien… Je tiens les clés de la mort et de l’Hadès. « 

Bref, notre Beatus se met au travail de copiste. Mieux, il se fait exégète et, sur sa lancée, s’attaque à la généalogie qui relie les prophètes au Christ. En réalité, le manuscrit disparaît. Restent seulement les traces de la colère des théologiens de Tolède, partisans d’une version opposée selon laquelle le Christ ne serait devenu fils de Dieu que par adoption à la suite de son baptême dans le Jourdain. Notre Beatus est même qualifié de  » puant  » dans une lettre adressée à Charlemagne.

Tout cela serait bien tombé dans l’oubli si, un peu plus d’un siècle plus tard, une première copie n’était apparue. Puis une deuxième et d’autres ensuite et ce durant plus de quatre cents ans. Soit, au total, 30  » Beatos  » qui aujourd’hui se trouvent à la fois en Espagne (Madrid, Barcelone, Valladolid, Gérone, Las Huelgas…) mais aussi à New York, Paris, Londres, Turin ou encore Lisbonne. Car ce qui fait la richesse des pages parcheminées est moins le texte lui-même ou encore les commentaires (écrits dans un latin très vulgaire, dira Umberto Eco) que dans les illustrations. Lumineuses, elles fascinent par les choix chromatiques qui souvent font songer aux harmonies de Miró : jaune, rouge, bleu bien séparés les uns des autres ou encore rouge, mauve, orange jaune dans un dégradé subtil, elles font la part belle aux lignes et aux contours sans souci aucun d’illusoires profondeurs.

L’énigme reste entière

Elles sont aussi énigmatiques, gorgées de symboles et de signes, habitées par les serpents à têtes multiples et autres monstruosités annoncées. On y parle de la pluie d’étoiles, d’une bête qui surgit de l’abîme ou encore des quatre cavaliers de l’Apocalypse. Les styles varient avec le temps. On a évoqué l’influence de l’art wisigoth, celle de l’Orient et plus tard de telle ou telle école romane. L’énigme reste entière. Notre plaisir à les découvrir et, comme au temps de Beatus, à les  » lire « , reste, lui, intact en ce xxie siècle où l’esprit de la  » catastrophe  » habite bien des pensées.

Bruxelles, Institut Cervantès, 64, avenue de Tervuren. Du 23 juin au 23 juillet. Du lundi au vendredi, de 9 à 15 heures. Le samedi, de 10 à 13 heures. http://bruselas.cervantes.es

GUY GILSOUL

 » Les choix chromatiques font songer aux harmonies de Miró « 

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