L’amour en fuite

Autopsie d’une rupture amoureuse dans les années 1930, le livre culte de Marcelle Sauvageot est enfin réédité

Laissez-moi, par Marcelle Sauvageot. Phébus, 125 p.

La reconnaissance littéraire est souvent, pour un écrivain, une longue navigation après la mort. Décédée d’une tuberculose à Davos en 1934, Marcelle Sauvageot est-elle sur le point d’arriver au port ? Va-t-elle enfin trouver sa place dans le c£ur des lecteurs et l’histoire de la littérature ? C’est le pari de Jean-Pierre Sicre, patron des éditions Phébus, qui, en rééditant l’unique ouvrage de cette météorite des lettres françaises, entend la sauver définitivement de l’oubli.

Il est vrai que l’histoire de Marcelle Sauvageot û et de son bref chef-d’£uvre, à l’origine intitulé Commentaire û est des plus singulières. Née en 1900 à Charleville (la patrie de Rimbaud), la jeune fille, chassée de chez elle par la Grande Guerre, se retrouve à Paris après l’armistice et prépare une agrégation de lettres. En 1926, à peine nommée professeur, elle tombe malade et, quatre ans plus tard, entre au sanatorium d’Hauteville (Ain). C’est là, en 1930, qu’elle écrit Commentaire, récit au scalpel û 88 pages d’écriture dense û de la rupture amoureuse qu’elle est en train de vivre.

Un cri grave qui sonne juste

Lorsqu’il a compris qu’elle était gravement malade, son amant et presque fiancé lui a écrit :  » Je me marie… Notre amitié demeure…  » Le texte de Marcelle Sauvageot n’est pas une réponse à cette lettre, mais bien un commentaire. Antigone de la passion amoureuse, elle ausculte son amour qui s’écroule. Elle le palpe, l’examine, l’interroge. En soupèse chaque faux-semblant, se remémore chaque concession, chaque demi-mensonge, avec la soudaine lucidité de celle qui a voulu tout donner et qui vient de tout perdre.

Le parfum des pivoines, la toux des tuberculeux, les intermittences du désir, mais aussi l’homme, la femme, l’amour, l’amitié, la mort, la maladie, la jalousie : on n’a pas peur des grands sujets lorsqu’on s’écrit ainsi à soi-même, sans réel souci des convenances ni des dogmes littéraires. Loin de toute préoccupation esthétisante, avide de pureté, de sincérité, Marcelle Sauvageot lance un cri grave et pur qui sonne infiniment juste. Et résonne longtemps.

Comment un tel livre a-t-il pu passer si longtemps inaperçu ? Peut-être parce qu’il n’avait justement pas été écrit pour être publié. En 1933, Commentaire est simplement tiré à 150 exemplaires pour les amis de l’auteur (parmi lesquels comptait René Crevel). Un an plus tard, Charles Du Bos, qui a repéré le chef-d’£uvre, écrit une préface pour la seconde édition, qu’il vient soumettre, en Suisse, à une Marcelle Sauvageot mourante. Salué par Paul Valéry, Paul Claudel, Clara Malraux, Jean Mouton, le texte sera ensuite régulièrement réédité (en 1936, 1943, 1986) par de nouveaux admirateurs, sans jamais vraiment trouver son public.

Avec un titre plus accrocheur û Laissez-moi û Jean-Pierre Sicre, surfant sur la vogue des livres courts, des récits intimes et des redécouvertes, réussira-t-il enfin à imposer Marcelle Sauvageot, comme naguère Henri Dougier sut ressusciter une quasi-inconnue nommée Kressmann Taylor ? On le souhaite ardemment. l

Olivier Le Naire

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