L’Amérique des autres

(1) Numéro 304, juin 2004.

(2) Grip Les Etats-Unis à contre-courant, éd. Complexe, 170 pages. Courriel : publications@grip.org.

OK ! La cause est entendue : George W. Bush incarne une Amérique arrogante et belliqueuse à laquelle nous avons toutes les raisons de nous opposer. Toutefois, un des motifs qui justifient cette résistance est rarement cité, à savoir le renforcement, du fait des agissements de l’administration républicaine au pouvoir, de cet antiaméricanisme primaire dont les Européens sont coutumiers. Car, comme toutes les sociétés, les Américains forment une nation complexe qui, au-delà de la caricature ordinaire, présente une multiplicité de regards intellectuels et de sensibilités politiques. Or les ignorer au profit d’une diabolisation sans nuance, c’est affaiblir ceux qui s’opposent à l’actuel président en renforçant, autour de leurs menées batailleuses, cette cohésion nationale dont les néoconservateurs ont tant besoin.

Dans les pas de l’écrivain Jack Kerouac qui, en 1957, immortalisa dans Sur la route û le roman culte de la Beat generation û, son voyage halluciné de la côté Est au Pacifique, le magazine Géo est allé à la rencontre de quelques-unes de ces  » autres voix de l’Amérique  » (1). Le reportage, richement illustré, chemine du Vermont à Seattle, de San Francisco à la Virginie. On y croise les pionniers du capitalisme responsable made in Stanford, d’anciens hippies activistes du combat contre la guerre du Vietnam reconvertis en fermiers écolos, des altermondialistes qui militent dur pour une presse libérée de la finance, des minorités athées en lutte contre les alarmantes dérives théocratiques de Washington, etc. Souvent nées dans d’anciens bastions du mouvement ouvrier, ces protestations plurielles partagent une même quête : instaurer une société plus pacifique et plus équitable.

Les causes qu’elles défendent mêlent les droits des Amérindiens à la défense des bisons du Yellowstone, en passant par la promotion des énergies renouvelables. Le document est rafraîchissant. En faisant la part trop belle à certains effets de mode sans réelle portée politique, il demeure néanmoins fort superficiel. Pour un éclairage plus significatif, on se reportera dès lors au recueil de critiques américaines à l’égard de la politique étrangère unilatéraliste des Etats-Unis publié par le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (2). Il nous montre que, derrière le folklore anticonformiste, circulent de vigoureux courants alternatifs : dans de brillants think tanks ou d’éminentes revues, chercheurs, penseurs, chroniqueurs… élaborent et diffusent une robuste pensée critique qui, jusque dans l’establishment, gagne chaque jour en influence.

Contrairement à ce que pourraient faire accroire de frivoles carnets de route, ce front du refus, de surcroît, n’émane pas seulement de la gauche radicale, mais s’enracine dans un large spectre d’opinions progressistes où se retrouvent le centre gauche qui gravite autour de la Fondation Carnegie, les  » libéraux  » û gauche modérée dans la ligne de Clinton û et la  » gauche libérale  » non traditionnelle d’inspiration socialiste héritière des mouvements contestataires des années 1960 et 1980. Boycottées par les grands médias, les idées défendues par ces mouvances échappent aux opinions publiques des deux rives de l’Atlantique. Elles constituent pourtant des analyses éclairantes dont les démocrates européens auraient intérêt à prendre connaissance : continuer à rejeter en bloc la première puissance mondiale n’est pas la meilleure façon de contribuer à cette victoire de John Kerry qu’ils appellent de leurs v£ux.

Jean Sloover

Du centre à la gauche radicale : ceux qui résistent à la croisade conservatrice de Bush & C°

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