Lady James, suite

La baronne du crime est de retour. Suspense, tension, ambivalence : sa manière est inchangée. La Salle des meurtres est un roman de grande classe

La Salle des meurtres, par P. D. James. Trad. de l’anglais par Odile Demange. Fayard, 468 p.

(1) A l’occasion de la sortie de La Salle des meurtres, Fayard remet en vente Un certain goût pour la mort, L’Ile des morts, Meurtre dans un fauteuil, La Proie pour l’ombre et La Meurtrière.

Si vous ne savez pas quoi offrir à l’être aimé, pourquoi pas un meurtre ?  » Du coin de son £il laser, lady Phyllis Dorothy James, la baronne du crime, savoure l’effet produit. Ce n’est pas seulement un effet, mais le thème de La Salle des meurtres, son 18e roman, un des meilleurs, mixte réussi d’Agatha Christie pour le puzzle criminel et de Balzac pour l’épaisseur psychologique et sociale. Ce livre dense, captivant et méticuleux, avec enquête en automne et peinture au couteau, vaut d’abord par son cadre, idéal pour les cauchemars gothiques. Nous sommes au musée des horreurs. Un petit musée baptisé Dupayne, du nom de ses propriétaires, deux frères et leur s£ur, que des problèmes de gestion interne séparent, peut-être jusqu’au crime.

Sise à Londres, près de Hampstead Heath, la bâtisse est parfaitement imaginaire, mais, sans elle, point de roman :  » Pour démarrer, il me faut le lieu « , explique la romancière, infatigable malgré ses 83 ans.  » Tel un architecte, je dois l’inventer. J’avais déjà construit dans un livre un collège de théologie, dans un autre, un laboratoire scientifique, dans un autre encore, un château victorien. Un musée, jamais.  » Particularité de cette fondation : on y présente non seulement tout ce que la peinture anglo-saxonne a donné de meilleur dans l’entre-deux-guerres, mais aussi, à travers dessins, planches, photographies et objets, les faits divers criminels les plus marquants perpétrés sur le sol britannique entre 1919 et 1938.

 » Je possède moi-même une collection impressionnante d’abominations. Autant qu’elles servent à quelque chose !  » s’amuse P. D. James.

Dans son roman, un mystérieux tueur s’ingénie à reproduire aujourd’hui trois de ces crimes d’autrefois. C’est ainsi qu’un des héritiers Dupayne est carbonisé dans le garage du musée, comme naguère le protagoniste de l’affaire Rouse ; qu’une jeune femme enceinte de deux mois est étranglée puis cachée dans une malle, comme le fut septante ans plus tôt Violette Kaye, femme légère : on retrouve dans la chevelure de la victime quelques violettes séchées, destinées à parachever d’un détail d’époque le macabre tableau. Quel but vise l’auteur de ces atroces duplicatas ? Là se situe l’extrême richesse du roman, la subtilité des personnages n’ayant d’égale, comme chez Jane Austen, Graham Greene et Henry James, maîtres de dame P. D. James, que l’ambiguïté de leurs motivations.  » Je ne suis pas sûre qu’ils soient honnêtes envers eux-mêmes, mais savent-ils exactement ce qui les pousse à agir ? L’amour, leur sauvegarde, l’esprit de clan, la générosité, le calcul ? Sans doute, tout cela à la fois. Quelle est la part de libre- arbitre et de responsabilité dans nos décisions, nos triomphes et nos déchéances ? C’est l’inépuisable complexité de la nature humaine.  » D’où de saisissants caractères, non de simples suspects.  » Mon souci est qu’à l’épilogue ils soient différents de ce qu’ils étaient au début.  »

Frayeur nocturne

Innocents ou coupables, on s’attache à Caroline Dupayne, capable de diriger un collège haut de gamme et de prêter son appartement de fonction aux membres d’un club de rencontres sexuelles créé par son mari ; à son demi-frère Neville, médecin que l’art indiffère ; à James Calder-Hale, le conservateur en chef, ancien des services secrets rongé à la fois par un cancer et par la culpabilité ; à Tally Clutton et Muriel Godby, femmes de charge du musée à qui La Salle des meurtres réserve plus d’une frayeur nocturne.

Jamais la manière James, suspense, tension, clarté, minutie, ambivalence, n’a été plus maîtrisée qu’ici, une manière dont elle n’a pas changé depuis ses débuts.  » Pourquoi le ferais-je ? La structure populaire du récit à énigme et enquête me convient mieux qu’aucune autre. Je m’y sens bien et je n’ai de cesse de l’élargir. Elle me permet d’évoquer ici la violence en milieu scolaire, là l’inadaptation de nos services psychiatriques anglais aux besoins des malades.  » D’autres motifs de réflexion viennent s’afficher au tableau noir dans la murder room de la baronne. Qu’un personnage définisse un musée comme une forme de célébration de la mort, un autre lui répond aussitôt qu’un musée s’intéresse au contraire à la vie collective d’une société et à l’existence individuelle de ses membres.  » Remplacez le mot ômusée » par le mot ôroman », mélangez les deux points de vue, et vous avez là une définition de la littérature, observe P. D. James. A ceci près que, incorrigible optimiste, je persiste à considérer le roman comme une célébration de la vie.  »

Le propos frappe par son sérieux. Thank God : même avant de siéger à la Chambre des lords en compagnie de sa copine Ruth Rendell, avec laquelle elle partage Un certain goût pour la mort (1) et pour les dérèglements mentaux en tout genre, P. D. James ne se départit jamais d’une ironie typically british.

Ce mélange de malice et de gravité, un coup de projecteur signé Bernard Pivot le révéla, un soir d’Apostrophes, il y a vingt ans, aux téléspectateurs français. Ceux-ci avaient oublié qu’ils étaient nostalgiques de polars à l’ancienne, P. D. James vint le leur rappeler au bon moment, réconciliant tout un public avec le genre, dont les séries télé, plus rapides, plus racoleuses, l’avaient détourné.  » Excellent souvenir, cette émission. Depuis, les lecteurs francophones me sont fidèles. La fidélité est probablement ce que j’apprécie le plus, dans les domaines privé et professionnel « , confie cette moraliste de l’homicide volontaire, qui fit ses classes au British Home Office, département de la justice criminelle.  » Ainsi mon éditeur m’est-il fidèle depuis plus de quarante ans !  »

Elle-même est demeurée fidèle à son héros, le commandant Adam Dalgliesh, fils de pasteur. Un double de P. D. James, cet enquêteur écrivain et poète ?  » Quel écrivain ne figure pas dans son livre d’une manière ou d’une autre ? Simplement, je me suis dit qu’il ne pouvait être ni musicien ni peintre, car je ne suis à mon grand regret ni l’un ni l’autre.  » Cette old lady dont les personnages font présent d’un crime à leurs proches, quel cadeau pourrait-on lui donner ?  » Du temps, pour courir les antiquaires, visiter mes deux filles ou marcher au bord de la mer.  » Et pour lire, de préférence de la non-fiction.  » Un jour, ma gouvernante, voulant m’offrir un roman et ne sachant trop lequel, s’est ravisée : ôSi elle veut vraiment en lire un bon, a-t-elle dit, elle n’a qu’à l’écrire elle-même ! »  » Fit-on jamais à la baronne du crime plus beau compliment ? l

Michel Grisolia

ôJe persiste à considérer le roman comme une célébration de la vie »

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