L' »acte d’avocat » trouble les scribes de l’Etat

Alors que la concurrence européenne est désormais possible dans l’accès au notariat, les avocats pourraient grignoter à l’avenir une partie du job des notaires.

Ce serait une sérieuse évolution en Belgique. Du moins si le processus législatif que vient de lancer le député Thierry Giet (PS) aboutit, car il n’en est qu’à son entame (la proposition de loi devait être officiellement  » prise en considération  » cette semaine par la Chambre, ce qui autorise qu’on lui donne une suite). Il s’agit d’attribuer une force probante à un acte contresigné par les avocats, un  » acte d’avocat « . Lequel document se positionnerait, en droit, aux côtés de l’acte notarié et de l’acte d’huissier.

 » Le double objectif est d’alléger le fonctionnement judiciaire et de réduire les coûts pour les parties « , commente Thierry Giet. Cela passe par deux éléments.  » D’abord, puisque la profession d’avocat est organisée par la loi, on peut penser que lorsque deux d’entre eux cosignent un document comme une convention, cela lui donne une valeur particulière, probante. Ce n’est pas le cas maintenant, alors que l’acte d’huissier ou le constat notarié ont cette force particulière. Ensuite, il faudrait qu’un « acte d’avocat » puisse être déposé au greffe et y recevoir ce qu’on appelle une « formule exécutoire ». Dès lors, à la différence d’aujourd’hui, il ne faudrait plus passer par un procès, des plaidoiries et des délais pour faire respecter une convention non exécutée : elle serait exécutable telle quelle. D’où les économies et l’allégement attendus.  »  » En signant, les avocats attesteraient que la réalité factuelle du contenu a été vérifiée « , détaille pour sa part le bâtonnier de Bruxelles, Jean-Pierre Buyle,  » ce qui veut dire que personne ne pourrait plus aller plaider l’ignorance ou l’erreur de droit « .

Un hic : la France s’est dotée le 30 mars dernier d’un texte du même ordre. Or le notariat français avait exercé un certain lobbying s’opposant à cette nouveauté. Peut-être parce qu’établir la force probante d’un document, c’est aussi occuper un marché à part entière ?  » La position du barreau a, en tout cas, été de s’étonner de cela, dans la mesure où ce n’est pas naturellement le travail des notaires, dont la principale mission réside dans la réalisation des actes authentiques « , indique Me Buyle.  » Les notaires me semblent avoir peur que ce qu’ils croient peut-être être un loup entré dans la bergerie. « 

Ciel tourmenté

Qu’en sera-t-il en Belgique ? Un notaire wallon nous a livré son sentiment :  » L’avocat est le défenseur d’une partie à la cause. Le notaire est un officier ministériel assermenté et neutre. Ce n’est pas la même chose « , dit-il en estimant que les avocats, devenus très nombreux, veulent peut-être étendre leur marché. Pour les grands scribes de l’Etat, le ciel est en tout cas tourmenté, ces temps-ci.

Le 24 mai, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt de grande chambre concernant six pays d’Europe, dont la Belgique. En cause : le fait que chacun réservait l’accès au notariat à ses seuls ressortissants, ce qui est dorénavant proscrit. La loi belge organisant le notariat devra être modifiée pour supprimer cette condition de nationalité (même si l’Etat belge continuera d’attribuer les études : pas question pour un notaire d’agir directement en Belgique au départ de la France, par exemple). Or, si la Fédération du notariat belge a réagi à cette décision en positivant (par exemple sur la qualité du service maintenue), on se souvient que les notaires belges espéraient une décision contraire. Et on sent que, dans la profession, on attend de voir les effets réels de l’arrêt avant de se dire rasséréné.

ROLAND PLANCHAR

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire