L’absurde saga des  » Vieux Jeunes « 

Les  » Vieux Jeunes  » : le mot pourrait faire sourire s’il ne recouvrait une réalité absurde d’indigence de gestion culturelle. Les créateurs et metteurs en scène qui se sont, par dérision, baptisés ainsi û Françoise Bloch, Pascal Crochet, Charlie Degotte, Xavier Lukomski, Lorent Wanson û appartiennent à cette génération qui frôle la quarantaine et qui suit celle des actuels directeurs d’institutions théâtrales (Varia, National, Place…). Ils ont tous entre quinze et vingt ans de pratique de la scène, façonnent, spectacle après spectacle, le paysage théâtral de notre pays, sont unanimement reconnus par la presse et par le public tant en Belgique qu’à l’étranger, récoltent chaque année une moisson de prix, remplissent les salles, enseignent, parfois, aux nouvelles générations, mais… restent superbement ignorés des pouvoirs publics.

Aujourd’hui, alors que le gouvernement de la Communauté française a, une fois de plus, reporté la discussion délicate des contrats-programmes et autres subventions du secteur des arts de la scène, et que le ministre des Arts et Lettres, Olivier Chastel (MR), retourne ses poches vides, les  » Vieux Jeunes  » parlent. Leurs regards, leurs mots sont graves. Ils en ont assez, depuis des années, d’entendre des promesses et de les voir se dégonfler comme des baudruches, d’envoyer des courriers qui restent lettre morte, d’attendre en vain devant les portes des ministres successifs des arts de la scène ! Aucun d’entre eux ne peut s’appuyer sur la moindre subvention.  » Nous sommes dans un statut d’indigent, nous n’avons plus les moyens d’entamer des projets.  » Et c’est sans appel.

Comme beaucoup de jeunes créateurs, ils se sont d’abord tournés, à leurs débuts, vers l’inestimable Commission d’aide aux projets (CAP), chargée de donner un coup de pouce aux jeunes débutants dans le métier. Ils s’en sont retirés en 1999, tous ensemble, par décence vis-à-vis des (vrais) jeunes qui y font appel. Le temps leur semblait venu û il y avait même urgence ! û qu’on leur trouve  » un petit coin dans un théâtre « , ou qu’on leur invente  » un sas transitoire « , entre les ponctuelles aides aux projets et les stabilisations en contrats-programmes. Ils ont rédigé des propositions de conventions, variables selon leurs spécificités.  » En 1999, le ministre Pierre Hazette(MR) semblait d’accord pour nous donner des moyens récurrents, expliquent-ils. Richard Miller, son successeur, a confirmé cette promesse, et nous a poussés à faire une demande de conventionnement au Conseil supérieur de l’art dramatique (CSAD). Il nous a octroyé une convention d’urgence, à la Noël 2001, de 74 000 euros. Depuis, plus rien. C’est la seule aide ponctuelle que nous ayons jamais reçue. Depuis, nous campons devant la porte des ministres. Daniel Ducarme, successeur de Miller, avait promis de s’occuper de nous. Olivier Chastel, successeur de Ducarme, réplique aujourd’hui :  » Vous n’êtes pas une priorité, et je n’aurai pas un franc avant 2007 !  »

Ces  » Vieux Jeunes  » ne sont pourtant pas restés les bras croisés. Des spectacles û et des meilleurs ! û ont vu le jour, grâce à l’accueil d’institutions comme le National, le théâtre de la Place, le théâtre de Namur, les Tanneurs, Océan Nord, la Balsamine… Le bonheur ? Non, en dépit des engagements artistiques.  » Ne disposant d’aucun moyen propre, nous sommes pieds et poings liés face aux institutions, déresponsabilisés dans un rapport d’infantilisation, lance Françoise Bloch. Nous n’avons pas de droit de regard sur l’avenir de nos productions, sur leur diffusion, non pas par mauvaise volonté artistique, mais par des impératifs de la structure institutionnelle qui nous accueille. Nous ne foulons pas aux pieds les institutions, nous voulons y travailler, mais dans un rapport sain de partenariat. Or, sans subventions de fonctionnement, c’est impossible. Tout comme devient inimaginable la poursuite d’un travail de création dans la continuité, à long terme, avec les acteurs, comme l’est aussi notre travail de mobilisation du public, essentiel dans notre volonté de replacer le théâtre au centre de la cité et dans le quotidien des gens.  » Françoise Bloch, Pascal Crochet, Charlie Degotte, Xavier Lukomski, Lorent Wanson subissent l’humiliation permanente de devoir argumenter sur la pertinence de leur parole théâtrale. Ils ne sont pas  » faiseurs  » de théâtre en quelques semaines de répétition, ils expérimentent, ils creusent des pratiques différentes de la scène et de la relation au spectateur, qui ont, pour tous, porté leurs fruits. Sans lieu, sans temps, sans argent, rien n’est possible.  » Si nous ne faisons pas de spectacles, nous n’existons pas.  » Un ultime cri d’alarme.

Michèle Friche

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