La vie est à nous…

Quand on interroge le Pr Mony Elkaïm sur ce que fut Mai 68 à l’Université libre de Bruxelles, c’est tout juste si ses yeux n’en pétillent pas encore : pour la première fois, des jeunes avaient compris qu’ils pouvaient avoir prise sur leur vie. Une révélation, sinon une révolution ?

Ce ne fut pas le grand soir. Mais ils eurent de bien belles nuits et des jours bien remplis… En mai 1968, le Pr Mony Elkaïm, neuropsychiatre et psychothérapeute familial (1), était étudiant à l’Université libre de Bruxelles. Depuis quelque temps, sur les campus américains, dans certaines rues européennes, dans celles de Paris, tout particulièrement, les jeunes manifestaient, s’opposaient, contestaient. Par solidarité avec des étudiants arrêtés à Paris et après une conférence de Melina Mercouri, venue rappeler aux Belges la dictature des colonels grecs, le 13 mai, les Bruxellois étaient mûrs pour vivre, à leur tour, une grande aventure humaine. Et, accessoirement, occuper leur université en suivant des chemins bien différents que ceux des  » enragés  » français.

 » Le contexte n’était pas au rêve d’un changement radical destiné à renverser, main dans la main, l’ordre capitaliste, se souvient Mony Elkaïm. Mais l’opportunité d’avoir prise sur notre vie s’ouvrait à nous. Cela se concrétisait en réalisant une expérience unique et que je défendais : les droits de tous allaient être respectés, y compris ceux des minorités, comme les femmes ou les étudiants étrangers. Nous n’étions pas dans la perspective d’une vérité, mais dans celle d’une recherche en commun. Dans les assemblées libres, nous ne laissions pas les ténors politiques monopoliser la parole : chacun parlait en son nom. Et les réunions cessaient quand les ouvriers nous disaient qu’ils devaient partir parce qu’ils commençaient tôt le travail, le lendemain matin ! Au fond, ce que nous voulions pour la société, avec nos revendications d’égalité et de liberté, nous avons tenté de le réaliser, de l’expérimenter entre nous, par l’auto-gestion.  » Cela n’excluait pas la contestation, y compris du pouvoir universitaire de l’ULB, dont le conseil finit par démissionner et par se rénover.

Pas une révolution mais un énorme souffle d’air

Mai 68 n’embrasa pas les universités et la Belgique, comme il fit flamber la France, même si l’occupation de l’ULB dura jusqu’en juillet. Néanmoins,  » il reste beaucoup de ce mouvement, qui ouvrait le droit de désirer et apportait un énorme souffle d’air. Cette période a véritablement marqué un changement « , assure Mony Elkaïm.

L’une de ses grandes héritières a été le champ de la santé mentale. L’antipsychiatrie, qui est née alors, a ouvert les portes à une approche plus humaine de la maladie mentale.  » Nous avons commencé à percevoir l’agencement du cocktail d’événements et de paramètres qui interfèrent sur la vie des patients et sur leur « folie », souligne le psychothérapeute. Et cela ne signifie pas, comme on le croit parfois encore, que les psys ont alors décrété que la maladie mentale était seulement due à la famille ou à la société ! Nous avons, également, intégré le fait qu’en psychothérapie, aussi, le changement s’opérait par l’action plutôt que par la compréhension. »

Clamée en 1968, la lutte pour le bouleversement social a ensuite soutenu celle du droit des minorités à un autre statut.  » Les homosexuels ont commencé à ne plus être considérés comme des pervers ou des malades figurant dans les livres de psychiatrie, mais comme des hommes ou des femmes ayant posé des choix différents, remarque le Pr Elkaïm. Et puis, fondamentalement, après 68, les relations entre les hommes et les femmes ne pouvaient plus être pensées comme avant. Et les familles, dont certaines étaient encore très rigides et répressives, ont été à leur tour largement bousculées. Certaines passèrent d’ailleurs d’un extrême à l’autre, imaginant à tort que l’absence de limite serait automatiquement positive… « 

Le  » il est interdit d’interdire  » laissa ainsi quelques blessés et déçus…  » Après 68, et alors que les grands idéaux s’effaçaient progressivement, les gens ont commencé à revendiquer un droit à un épanouissement personnel et au bonheur, y compris dans le couple « , rappelle également le neuropsychiatre. Y parvenir passe peut-être par une des leçons que testaient, sur le terrain, les contestataires belges de 68 :  » Penser que l’on a raison ne signifie pas que l’autre a forcément tort. En comprenant cela, il devient plus facile de trouver, ensemble, un chemin en commun. « 

(1)Dernier livre paru : Comment survivre

à sa propre famille (Seuil). A lire également : A quel psy se vouer ? (Seuil).

En partenariat avec l’émission Opinion publique de la RTBF.

Pascale Gruber

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