La vérité sur l’affaire Dicker

Marianne Payot Journaliste

Avec son histoire à l’américaine, ce jeune écrivain suisse (presque) inconnu et plein de talent fait un carton : déjà 20 000 exemplaires vendus. Décryptage d’un coup de maître.

La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, par Joël Dicker. De Fallois-l’Age d’homme, 672 p.

Il ne suffit pas de publier de bons livres, encore faut-il les faire lire. Bernard de Fallois le sait, qui n’est pas né de la dernière pluie. Voilà cinquante ans que l’éditeur de Marcel Pagnol, Raymond Aron, Robert Merle, Françoise Chandernagor, Rose Tremain ou encore Jacqueline de Romilly navigue dans les eaux littéraires. A 86 ans, le crocodile a encore du ressort. Et des amis. Alors qu’au printemps dernier il s’apprêtait, dit-il, à prendre le large, Joël Dicker, un jeune écrivain suisse dont il venait de coéditer le premier roman ( Les Derniers Jours de nos pères) en mémoire de son ami Vladimir Dimitrijevic, le directeur de la maison lausannoise L’Age d’homme tout juste décédé, Joël Dicker, donc, lui apporte le manuscrit de son deuxième roman.

Un ouvrage de poids, 670 pages au bas mot. Bernard de Fallois le lit d’une traite, puis, enthousiaste, stoppe tout : il résilie son bail, annule ses vacancesà et envoie ledit manuscrit à quelques personnages influents, Marc Fumaroli, Dominique Schnapperà Il n’y a pas d’âge pour faire le buzz.

Un coup de maître ! Avant même que La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, le roman en question, ne sorte en librairie, il figure dans la première liste du jury Goncourt, publiée le 4 septembre ! En lieu et place d’Olivier Adam ou encore de Philippe Djian ! Stupéfaction ! Seuls les rares lecteurs des Derniers Jours de nos pères, création autour de l’armée secrète de Churchill, ont entendu parler de ce Genevois de 27 ans à la gueule d’ange. Les autres, pour en savoir plus sur ce diplômé de droit qui, adolescent, passa toutes ses vacances d’été aux Etats-Unis, liront son roman  » américain « .

Car c’est bien de cela qu’il s’agit avec La Vérité sur l’affaire Harry Quebertà, sorte de thriller au long cours avec une histoire, ou plutôt des histoires, du rythme, des rebondissements, des mises en abyme littéraires qui, telles les poupées russes, s’emboîtent habilement. Imaginé par un enfant de la télé ne rêvant que d’écriture, La Vérité surà ressemble à Cold Case : affaires classées, la fameuse série américaine, à ceci près que tous les épisodes de la saison traitent de la même affaire et qu’on aimerait qu’elle ne s’achève jamais. Avec, dans le rôle de Lilly Rush, Marcus Goldman, écrivain trentenaire de New York, en prise directe avec la disparition, le 30 août 1975, soit trente-trois ans avant la découverte de son squelette dans un jardin, d’une adolescente de 15 ans, Nora Kellergan. Si cet écrivain en panne d’inspiration s’intéresse à ce fait divers, c’est parce que Harry Quebert, son mentor, professeur d’université et auteur du best-seller Les Origines du mal, est accusé du meurtre de la jeune fille.

Faisant fi de la fureur de son agent et de son éditeur, qui lui réclament à cor et à cri son deuxième roman, Marcus Goldman file à Aurora, tranquille cité balnéaire du New Hampshire, pour tenter de disculper son maître, que toute l’Amérique, après l’avoir porté aux nues, voue désormais aux gémonies. Lentement mais sûrement, les contours de l’énigme se dessinent. Oui, Harry, 34 ans à l’époque, a bien eu une histoire d’amour avec Nora, 15 ans, impossible romance qui a inspiré son best-seller. Mais il semblerait qu’il n’ait pas été le seul, on parle aussi d’un certain Stern, richissime homme d’affaires, de son chauffeur, l’inquiétant Luther, ou encore de Pratt, le chef de la police. Qui était vraiment la radieuse Nora ? Et pourquoi sa mère la battait-elle ? Les questions se multiplient, et les soupçons fusent sur tous les membres de la communauté, de Jenny, la serveuse du bar, éperdument amoureuse de Harry, à Tamara, sa mère, petite-bourgeoise tout droit sortie de Desperate Housewives.

Mais, à ce stade, le roman ne fait que commencer. En maestro, Dicker alterne les époques, les écrits (rapport de police, retranscription d’entretien, extrait de roman), explore l’Amérique de tous les excès – médiatiques, littéraires, religieux -, s’interroge sur la fonction de l’écrivainà Au final, on aura passé quel- ques journées outre-Atlantique, rivés devant ses pages. Bernard de Fallois a bien fait de repousser ses vacances.

MARIANNE PAYOT

En maestro, Dicker explore l’Amérique de tous les excès, médiatiques, littéraires, religieux

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