LA SYRIE OU LES LIMITES DU MONDE
Il est a priori bien plus facile de décrire ce qu’une offensive éclair contre le régime de Bachar el-Assad ne serait pas que ce qu’elle serait.
– Elle ne s’insérerait pas dans une grande manoeuvre internationale visant à arrêter la guerre civile qui ravage la Syrie. Pour être encore plus précis, il n’y a toujours aucun » plan » susceptible d’arrêter le massacre des populations civiles.
– L’initiative militaire, aussi limitée et proportionnée qu’elle puisse être, n’aurait pas davantage pour but de rétablir la démocratie, ni même d’avantager militairement les différentes factions – parmi lesquelles certaines sont des plus dangereuses – engagées dans une guerre atroce contre le régime assassin.
Pourquoi donc vouloir agir malgré tant d’objections, auxquelles s’ajoute le contournement de l’ONU (à laquelle la France a pourtant affirmé vouloir rester fidèle), étrange dérogation qui ouvrirait un boulevard aux régimes qui méprisent le droit international ? Que l’opération militaire soit conçue comme une simple gifle infligée à Assad ou, plus ambitieusement, comme une initiative destinée à marquer un tournant dans le conflit, la problématique reste la même. Face au désordre international actuel, à l’effacement du leadership américain et à la transformation des restes de la puissance russe en une force de blocage, au cynisme triomphant, au déphasage complet entre la puissance économique et l’avancement démocratique (Chine, Russie…), la notion de victoire militaire, de pacification ou de démocratisation de la région hautement conflictuelle du Moyen-Orient (optique désastreuse suivie par George W. Bush) apparaît presque hors sujet.
Il est question d’autre chose, de marquer des limites, qu’on les appelle » ligne rouge » ou autrement, au-delà desquelles des gouvernements sanguinaires ne pourront pas s’aventurer sans s’exposer à des répercussions claires et nettes. La guerre chimique est le type même de limite (qu’on songe aussi au nucléaire, en cours de prolifération) qu’il appartient aux nations responsables de la notion de civilisation de marquer fermement.
Il existe sur le dossier syrien une vérité non dite, qui relève de tout autres considérations que le contexte régional – mais qui n’en sont pas moins essentielles. L’opération militaire souhaitée par les Etats-Unis et la France rejoint des questions existentielles de première importance pour ces deux nations, tout autant que pour l’ordre du monde. Ce n’est pas par hasard que le francophile secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a rappelé que Paris était le » plus ancien allié » de Washington ; retour au XVIIIe siècle et rappel du principe d’action. A quoi bon, pour les Etats-Unis, disposer encore du dernier instrument de suprématie mondiale que constitue leur hégémonie militaire si ce n’est pour en user – de préférence au service du concept de » limites » universelles ? C’est ainsi que Barack Obama, en dépit de ses piteuses arabesques, entend réaffirmer le leadership américain – à la baisse en fréquence, à la hausse en exigence.
Ce qui rejoint la problématique rencontrée par François Hollande, évidemment réduite à une bien moindre proportion. Tandis que le Royaume-Uni fait avec dix ans de retard le procès des mensonges proférés lors de l’intervention en Irak, en 2003, la France s’appuie sur l’opération au Mali, effectuée au nom du danger immédiat et contagieux. Dans cette perspective, le débat consacré à l’atlantisme apparaît éculé ; la grille de lecture passéiste ne fonctionne plus, elle restaure un monde révolu. Face au grand désordre humain, si la France devient un Etat qui ressemble par sa passivité ou sa frilosité à ses autres voisins européens, alors même qu’elle voit son poids économique décliner à vue d’oeil, elle descendra du train de l’Histoire, qui ne demande qu’à rouler sans elle.
par Christian Makarian
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