La Sûreté version light

Pour la première fois de son histoire, la Sûreté de l’Etat dévoile un peu les menaces qui se sont exercées, en 2008, sur l’ordre démocratique et la souveraineté de la Belgique.

Le mutisme entretient tous les fantasmes. La Sûreté de l’Etat a décidé de revoir sa communication, en publiant un rapport à destination du grand public. Le service de renseignement civil belge a longtemps pâti d’une réputation sulfureuse, liée à des échecs mal digérés (WNP, Ferhriye Erdal, Belliraj…) et semi-médiatisés. Il n’a jamais eu les moyens de se défendre à visage découvert, sauf par la voix de son ministre de tutelle (Justice) ou via le comité de contrôle des services de renseignement (comité R) dépendant du Parlement. Car il est régi par des règles très strictes de  » classification « . Ne peuvent être rendues publiques des informations émanant d’une source humaine, d’un service tiers ou faisant l’objet d’une instruction judiciaire.

Réclamée de longue date par la Sûreté elle-même, la politique actuelle d’ouverture s’apparente donc autant à un exercice démocratique qu’à une opération de relations publiques. En 2005, un premier rapport portant sur l’année 2004 avait déjà failli sortir, mais la ministre de la Justice, Laurette Onkelinx (PS), l’avait bloqué in extremis, le jugeant trop précis. Conscient que  » la société actuelle est le témoin de changements et de phénomènes sociaux au développement rapide  » et qu’il incombe à la Sûreté de l’Etat de  » suivre les évolutions les plus récentes et d’y répondre de manière adéquate « , l’actuel ministre de la Justice, Stefaan De Clerck (CD&V), s’y est pris autrement.

L’  » intelligence  » des enjeux stratégiques

Le rapport 2008 rappelle utilement le cadre légal dans lequel travaille la Sûreté et aborde de manière soft ses sujets de préoccupation, non sans une erreur manifeste (les Turcs sont présentés comme  » la communauté musulmane la plus importante  » de Belgique) et quelques maladresses de langage ( » islamisation politique « ,  » hégémonie américaine et sioniste « ). Ce premier exercice de transparence n’arrive pas encore à la hauteur des publications très documentées de l’Office de la protection de la Constitution (Allemagne) ou de l’AIVD (Pays-Bas), qui permettent aux décideurs comme à la population de mieux cerner les enjeux stratégiques de leur société. Néanmoins, cet effort, précise-t-on à la Sûreté de l’Etat, sera poursuivi et amplifié.

Le survol de l’année 2008 est varié : espionnage économique et industriel (surtout dans le secteur énergétique et des matières premières), extrême droite (le phénomène  » skinhead  » est relativisé), extrême gauche (l’évolution du PTB observée avec réserve), Afrique des Grands Lacs, criminalité organisée (où la Sûreté de l’Etat avoue son manque de moyens) islamisme, etc.. D’après le service de renseignement, l’  » extrémisme musulman  » ne vise plus l’Exécutif des musulmans de Belgique, mais il s’implante au niveau local, sur une base pluriethnique. Sous quelle forme ? Le rapport 2008 n’en dit mot. En revanche, il exprime un intérêt particulier pour la communauté pakistanaise, dont une partie, estimée à 20 000 personnes, réside en Belgique en séjour illégal. Des  » indices  » témoignent de ses liens avec le crime organisé (traite des êtres humains, falsification de documents officiels, fraude en matière de télécommunications, blanchiment d’argent…), qui pourraient déboucher notamment sur le financement de groupements terroristes en Europe.

Le rapport de la Sûreté relève aussi, en termes diplomatiques, l’ampleur inégalée des activités d’ingérence de puissances étrangères (dans lesquelles on reconnaît aisément le Maroc et la Turquie) autour de l’ islam institutionnel (Exécutif des musulmans de Belgique), ainsi que la volonté des pays du sud de la Méditerranée de contrôler étroitement leurs ressortissants en Belgique. Rien de nouveau sous le soleil, mais c’est écrit noir sur blanc.

www.just.fgov.be/doc/web-light-rapport2008-fr.pdf

MARIE-CéCILE ROYEN

 » L’ingérence de puissances étrangères atteint une ampleur inégalée « 

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