© Greetje Van Buggenhout

La santé dans les selles

L’étude des selles, qui a littéralement explosé ces temps derniers, fournit un nombre incroyable de nouvelles connaissances. Mais attention aux conclusions hâtives…

Les selles, ce domaine quelque peu tabou, constituent en réalité une source incroyablement riche de vie. Y pullulent des bactéries, des levures, des champignons, des parasites et bien d’autres organismes microbiens que nous avons longtemps considérés comme des ennemis, mais dont la plupart s’avèrent de fort bons amis. Il y a 20 ans, les connaissances dans le domaine étaient rares. Jeroen Raes, professeur à la KU Leuven et au Vlaams Instituut voor Biotechnologie (VIB), a participé aux toutes premières recherches.  » C’était passionnant, raconte-t-il, car chaque question, aussi naïve était-elle, n’avait jamais été étudiée aussi profondément. On découvrait toujours de nouvelles choses.  »

On suppose qu’à l’origine, l’homme était habitué à vivre avec un tas de parasites dans le corps. » Jeroen Raes, bio-informaticIEN

ADN et intestin

En 1990, les États-Unis lançaient le Projet génome humain (1). En décodant nos gènes, ce projet a donné un coup d’accélérateur incroyable dans l’étude de l’ADN. En microbiologie aussi, ce projet eut un impact considérable. Auparavant, l’étude des bactéries se limitait à ce qui pouvait survivre sur les coupelles de laboratoire. Ce qui périssait restait inconnu.  » Depuis, nous récoltons les éléments ADN de l’échantillon original et nous pouvons voir tout ce qu’il contient. Mais vous n’obtenez sur votre coupelle qu’une partie des pièces de 100 puzzles différents qui auraient été mélangées : à vous de retrouver ce qui se trouve sur les boites ! Pour mener ce travail à bien, nous avons développé de nouveaux logiciels.  »

Notre flore  intestinale  contribue probablement au développement de notre système immunitaire lors de nos premières années.
Notre flore intestinale contribue probablement au développement de notre système immunitaire lors de nos premières années.© BELGA

En 2012, un consortium international a lancé un projet de recherche sur la  » flore intestinale « , comme elle était encore appelée : le Human Microbiome Project Consortium. Ce qui démontrait l’intérêt né des découvertes sur cet organe niché dans nos entrailles.

En parallèle, Jeroen Raes a lancé en Flandre un projet visant à cartographier la flore intestinale de 5000 volontaires flamands, et ce en vue de mieux comprendre la nature, la fonction et le fonctionnement de milliards de bactéries dans l’intestin (2,3). Cette étude de grande ampleur, qui se poursuit toujours, a généré beaucoup de nouvelles découvertes.

Biodiversité

Ce projet d’étude de la flore intestinale l’a également conduit vers des destinations exotiques, notamment chez les Matsés, un peuple de chasseurs-cueilleurs de la forêt amazonienne au Pérou.  » La flore intestinale des Matsés diffère énormément de la nôtre (4). Elle contient des bactéries totalement différentes. Ils ne consomment pas d’aliments industriels, ne prennent pas d’antibiotiques, y compris via leur alimentation comme chez nous via l’élevage de bétail. Leurs selles contiennent de nombreux parasites qui nous rendraient gravement malades, mais eux étaient en parfaite santé ! Nous n’avons donc pas la moindre notion de l’incroyable biodiversité de la flore intestinale dans le monde entier. Nous devrions récolter des masses d’échantillons de ces communautés, avant qu’il ne soit trop tard.  »

Réaliser soi-même des transplantations fécales? Cela peut être extrêmement dangereux et causer des infections terribles. » Jeroen Raes, bio-informaticIEN

Mais ici aussi, nous sommes régulièrement confrontés à des surprises. 1 participant sur 3 au projet d’étude flamand était porteur de blastocyste, un microbe unicellulaire considéré comme un parasite.  » Les selles contenant des blastocystes ne peuvent être utilisées pour la transplantation. Mais nous savons maintenant que seule une branche de cette famille est un véritable parasite alors que l’autre est inoffensive. Mieux encore, les porteurs de ces autres branches ont globalement une flore intestinale en meilleure santé que le reste, ce qui nous laisse supposer qu’à l’origine, l’homme était habitué à vivre avec un tas de parasites dans le corps. Et que tous ces microbes ne sont pas nécessairement mauvais. Notre flore intestinale contribue probablement au développement de notre système immunitaire lors de nos premières années. Regardez les bébés : ils rampent ou marchent à quatre pattes et mettent constamment des objets en bouche. D’après moi, ce n’est pas un hasard. Je pense qu’il s’agit là d’un mécanisme évolutionniste permettant d’entrer en contact avec des bactéries de l’environnement. Mais attention, ce n’est qu’une piste de réflexion. Cela n’a pas encore été prouvé.  »

Les selles des Matsés contiennent de nombreux parasites qui nous rendraient gravement malades, mais eux étaient en parfaite santé !
Les selles des Matsés contiennent de nombreux parasites qui nous rendraient gravement malades, mais eux étaient en parfaite santé !© BELGA

Rester prudent

Dans son enthousiasme, le chercheur pèse néanmoins ses mots avec une prudence étonnante. Non sans raison, comme il nous l’explique :  » Je dois être très prudent dans ce que je dis, car les gens veulent des solutions à leurs problèmes et le moindre propos dans ce sens est pris comme parole d’évangile. La question principale du grand public ‘Comment puis-je influer positivement sur ma flore intestinale ? ‘ est extrêmement délicate car ces recherches sont encore récentes. Nous trouvons constamment de nouvelles choses, mais butons aussi souvent sur des éléments qui se contredisent.  »

Un avis partagé par le Pr Patrice Cani, grand spécialiste mondialement reconnu du microbiome intestinal à l’Université Catholique de Louvain :  » Nous commençons seulement à faire le lien entre le microbiote et certaines maladies. De nombreuses questions restent en suspens. Par exemple, nous sommes loin d’avoir étudié toutes les espèces de bactéries intestinales. 70 à 80% d’entre elles n’ont même jamais été cultivées ! Par conséquent, personne ne peut dire de quoi se compose un microbiote sain, qui nous protègerait de l’obésité et des troubles métaboliques associés. C’est tout l’enjeu de la recherche fondamentale : essayer de comprendre comment tout cela fonctionne.  »

La transplantation fécale est un autre domaine où Jeroen Raes craint les initiatives malencontreuses, même s’il croit dur comme fer à son avenir.  » Elle donne plus de 99% de résultats positifs dans certaines indications. C’est énorme, et supérieur aux résultats obtenus avec des antibiotiques. Dans d’autres cas, le succès est plus modeste, mais néanmoins très bon. Reste encore à en connaître les risques éventuels à plus long terme… Il n’est dès lors pas recommandé de réaliser soi-même des transplantations fécales, car cela peut être extrêmement dangereux et causer des infections terribles.  »

Corrélations ou lien de cause à effet ?

Le même mélange d’enthousiasme et de prudence se manifeste lorsqu’on évoque un éventuel lien entre la flore intestinale et la dépression (4).  » Nous constatons que les bactéries intestinales possèdent la machinerie pour produire des neurotransmetteurs, ces molécules signal telles que la sérotonine qui jouent un rôle dans la dépression. Nous avons découvert cela dans leur ADN et c’est très intéressant, mais nous ne savons pas si elles influencent effectivement notre comportement. Mais d’emblée vous lisez dans le journal : ‘Vos bactéries intestinales vous rendent dépressif’… avec la conséquence que tout un tas de gens vont entreprendre quelque chose dans ce domaine.  »

Les recherches Sur l'amélioration de la flore intestinale sont encore récentes. Nous trouvons constamment de nouvelles choses, mais butons aussi souvent sur des éléments qui se contredisent.
Les recherches Sur l’amélioration de la flore intestinale sont encore récentes. Nous trouvons constamment de nouvelles choses, mais butons aussi souvent sur des éléments qui se contredisent.© BELGA

Une prudence relayée par le Pr Cani, dans un article scientifique récent (5) où il analyse de manière critique les connaissances liées au microbiote intestinal. Il met notamment en garde contre les associations trop faciles entre bactéries et maladies.  » Je travaille dans le domaine de l’obésité et du diabète ainsi que dans celui du microbiote depuis déjà plus de 20 ans. Nous ignorons toujours si la quantité absolue de microorganismes est plus déterminante que la proportion de chaque type de microbe, ou que leur activité. Et quel est le rôle d’une seule bactérie isolée au sein d’une communauté si vaste et complexe ? De nouvelles études seront nécessaires pour aller au-delà des associations simples « , explique-t-il sur le site du Gut Microbiota for Health. (6)

Mais peut-on influencer positivement notre flore intestinale ? La recherche montre qu’une alimentation riche en fibres est favorable à la santé, avec des produits complets, des légumineuses, des fruits et légumes. Commençons donc déjà par adopter une alimentation saine et variée…

références www.BODYTALK.be

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