La rouquine d’amour et ses frères

Alchimie réussie entre un texte, un plateau et ses interprètes : Le Chant du dire-dire, de Daniel Danis, mis en scène par Hélène Theunissen au théâtre des Martyrs, à Bruxelles

Le Chant du dire-dire, au théâtre de la place des Martyrs, jusqu’au 17 décembre. Tél : 02 223 32 08.

Les écrivains québécois déboussolent avec magie la langue française. Ils ont aussi gardé un ancrage dans l’argile des origines, là où naissent des histoires profondes, étran-ges,  » tellurgiques « , comme le dit Daniel Danis (44 ans), l’une des plus belles écritures de là-bas, qui a rejoint Bruxelles pour la création de son Chant du dire-dire, superbement mis en scène par Hélène Theunissen dans la petite salle du théâtre de la place des Martyrs. Rayonnant, confiant, il dit ne pas savoir ce qu’on peut faire de ses pièces… Lui, il écrit sous la dictée des images qui l’accompagnent depuis son enfance, dans sa terre du Saguenay, largement au nord du Québec.  » Ma pièce est née d’un rêve où je voyais trois hommes dans un champ, sous des nuages lourds ; ils portaient une femme dans leurs six bras et pleuraient. Tout un réseau d’images se ramifie ainsi dans ma mémoire, et je les laisse déposer, tranquillement. Plus tard s’empile tout ce qui était éparpillé horizontalement et je traverse cette verticale, pour écrire vite, comme en temps réel de la main au papier. La logique de tout ça, je ne la découvre qu’ensuite.  »

Sur un espace de bois brut incliné où la porte est couchée sur le sol et s’ouvre sur une tombe (Daniel Scahaise), sans autre accessoire que leurs mots, trois hommes naissent de l’ombre. Reliés, soudés, ces trois-là content leur histoire. Les parents (adoptifs) ont été foudroyés par des éclairs comme des échasses lumineuses. Ils attendent le retour de leur s£ur, et découvrent leur  » rouquine d’amour  » en pantin muet : un  » éboulis au sol « . Les trois frères lui  » machinent leurs soins d’amour « . De temps à autre, ils vont satisfaire leurs amourettes au village. Les  » municipiens  » sont curieux puis agressifs. Quand ils le  » démaisonnent « , le quatuor d’amour s’enfuit, entre dans le marais et s’envole sur d’autres échasses lumineuses. Et le  » dire-dire  » ? C’est un secret et un objet, à qui l’on peut dire ce que l’on n’ose pas dire, qui conjure  » la peur du fond des corps « .

Christophe Destexhe, Emmanuel Dekoninck, Bernard Gahide, Dolorès Delahaut, portés magnifiquement au-delà d’eux-mêmes dans la rigueur, se sont adressés à nous, tous proches, en passeurs. Rien à voir avec un théâtre psychologique, mais tout à voir avec une parabole archaïque et initiatrice, conçue comme un vaste poème de mots nourriciers des corps qui sécrète sa violence et sa tendresse. Une mise en scène puissante et délicate, qui préserve les multiples résonances non résolues d’un conte fraternel.

Michèle Frich

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