La raison est prudence et patience

Existe-t-il des règles de bon sens qui puis-

sent guider le travail de ma raison ?

Christian Vassart, Bruxelles

Il n’est pas évident de définir des règles qui soient conformes a priori aux exigences de la raison universelle et aux singularités d’une pensée individuelle. Si la raison, comme le langage, ne vaut que dans la mesure où elle fonctionne selon une communauté d’usage, nous devons admettre que chacun s’en sert à sa manière. Certains laissent entendre qu’ils ont leur propre règle en la matière. Pourquoi pas ? L’universalité, pour se tenir, doit offrir autant de visages qu’elle a d’occasions de s’exprimer. Il en va de même du parler, de l’art, de l’amour, des manières de vivre ensemble et… des croyances. Mais cette universalité n’en subsiste pas moins avec son exigence propre. Certaines lois de la raison ne sont pas, à proprement parler, des manières pour en fabriquer les produits mais plutôt des façons de s’y préparer, comme si l’important pour en user était moins un savoir-faire technique qu’une disposition de l’être. Là se retrouverait l’exigence d’universalité sans l’habillement d’uniformité qui insupporte tant quand on s’en réfère à cette catégorie.

La raison est, à la fois, prudence et patience. Pour donner sa mesure, elle sait que la certitude est presque toujours partielle, que son fondement n’est jamais assez creusé, que l’expérience laisse toujours voir des approches nouvelles, que l’évidence de ce jour est le questionnement du lendemain. Toutefois, limitée à de tels comportements, la raison serait un autre mot pour désigner la pusillanimité intellectuelle. Aussi, revers d’une même médaille, la raison se doit d’être téméraire, aventureuse, chasseresse des tabous. Elle devine des espaces à conquérir et n’arrête pas de déporter les frontières et de changer ses habitudes.

Ce comportement un peu schizophrénique est sous-tendu par un questionnement qui titille la raison dans sa retenue et son élan : pourquoi pas ? La prudence, la patience, l’esprit d’aventure, la soif d’exploration ne sont imaginables qu’en réponse à cette mise en garde : qui connaît les pièges que recèle mon sentiment de certitude ? Pourquoi telle évidence ne voilerait-elle pas son contraire, son non-dit, si pas quelque méchante ambiguïté ? Et une fois installé dans mes habitudes, rassuré par des démarches prudentes et de patientes investigations, pourquoi ne pas secouer cette tranquillité intellectuelle ? Au-delà, il y a l’incertitude, le tumulte, la foire d’empoigne et tant à découvrir. Ainsi va la raison de tout un chacun quand il en use sciemment.

Jean Nousse

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