La princesse des sablières

Avant l’arrivée des bulldozers, des fouilles sur les berges de la Vesle ont pu sauver à temps une exceptionnelle nécropole celte

Une princesse celte et deux hommes de haut rang avaient été enterrés, en compagnie de quelques dizaines de personnes de leur lignage, près du confluent de l’Aisne et de la Vesle, dans cette riche Picardie où étaient installés les premiers habitants de l’Europe. On vient de les trouver dans une nécropole d’une quarantaine de tombes, avec les objets correspondant à leur condition sociale et à leur sexe. Les hommes équipés de leurs armes et de leurs torques. Ces énormes colliers rigides, parfois en or mais ici en bronze, sont des pièces exceptionnelles. Posés sur les clavicules, ils donnaient si fière allure aux guerriers celtes, quand ceux-ci s’élançaient vers leurs ennemis, que les assaillants préféraient s’enfuir.

Les femmes ont été inhumées avec leurs bijoux, leurs vases et û l’arrangement des tombes le suggère û leurs tissus précieux. La princesse était allongée sur un char, privilège d’habitude réservé aux hommes d’importance, et portait, en plus de son torque, des pendentifs décorés de pendeloques et, surtout, une parure jamais vue jusqu’à aujourd’hui : au bout d’une chaîne, un personnage stylisé, les bras vers le ciel et les jambes terminées en lyre.

Qui était-elle ? Aristocrate, musicienne ou prêtresse ? Ou les trois à la fois ? A la fin de décembre 2002, les scientifiques français de l’Institut national de recherches archéologiques préventives sondent ce carré de terre sur la commune de Vasseny (Aisne). La bise souffle, la terre est gelée. Les sabliers qui exploitent depuis des décennies les carrières de granulats du bassin sont sur leurs talons. Au sommet d’une butte, à la lisière des peupliers qui bordent la rivière, les archéologues repèrent trois tertres. Une fouille rapide û froid et peur des voleurs obligent û leur permet de mettre au jour ce groupe de nobles, accompagnés de leurs panoplies. Tout ce qui est métallique est immédiatement envoyé à l’Institut de restauration et de recherches archéologiques et paléométallurgiques, à Compiègne, où officie André Rapin, entouré d’une dizaine d’assistants. Les pièces, encore enrobées de leur gangue de terre et de rouille, sont d’abord radiographiées, puis déposées dans des bains spéciaux pour être débarrassées des chlorures. Ensuite, elles seront nettoyées avec délicatesse, pour faire apparaître les motifs dessinés sur les torques torsadés, les fourreaux des épées, le manche d’un étonnant poignard en bois de cerf.

André Rapin sait tout de suite repérer le matériau, l’usage, le style, les influences. L’habileté des métallurgistes de l’époque, qui savaient fondre le fer différemment pour le cerclage des roues de char et pour le fourreau des épées, l’émerveille encore. Il vient de dater la nécropole de Vasseny : ve et ive siècles avant notre ère. C’est le début de la période dite  » de La Tène « , le second âge du fer. Siècle charnière, où les Celtes s’organisent en chefferies. Des personnages importants, riches, contrôlent de vastes portions du territoire. Ils se font enterrer avec les symboles de leur pouvoir, en particulier le char. Plus tard viendra l’époque des réorganisations territoriales, autour de grands princes qui régneront sur des régions entières.

Ce n’est pas un hasard si ces vallées de l’Aisne et de la Vesle révèlent régulièrement des vestiges. Pendant des millénaires, les populations se sont établies au bord de ces rivières, sur ces terrasses fertiles. Quand, vers les années 1950, les carriers commencent à dévaster le coin, quelques archéologues alertent les élus. Dans les années 1970, un accord est conclu pour que les fouilles soient menées avant l’arrivée des bulldozers.

Une démarche intelligente : cette zone serait l’une des mieux explorées de France, puisqu’on peut y retracer l’histoire en continu depuis le néolithique jusqu’aux temps modernes.

Cette princesse celte parée de tous ses atours en fait désormais partie. l

Françoise Monier

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