La nouvelle bataille d’Austerlitz

Escamoté en France, le bicentenaire de la victoire napoléonienne est célébré de façon grandiose en République tchèque

Le 2 décembre 1805, à 7 heures du matin, le brouillard était  » si épais que l’on n’y voyait pas à 50 pas « , rapporte le major Mahlern, vétéran de l’armée impériale autrichienne, arrivé la veille sur le site d’une bataille, dite  » des Trois Empereurs « , devenue légendaire dans l’histoire de l’Europe. C’est en Moravie, sur le territoire du royaume de Bohême, non loin de Slavkov u Brna, dont le nom allemand était Austerlitz, que Napoléon Ier, empereur des Français, un an jour pour jour après son sacre, remporta une éclatante victoire sur la coalition austro-russe menée par François II de Habsbourg et par le tsar Alexandre Ier.

Sur le théâtre des opérations, les manifestations du bicentenaire, organisées entre le 30 novembre et le 4 décembre, ont été voulues grandioses. 22 communes y sont associées et la région de Moravie compte parmi les sponsors. Depuis l’été dernier, il n’y a plus une chambre d’hôtel disponible à 70 kilomètres à la ronde. 30 000 spectateurs sont attendus pour la reconstitution de la  » bataille générale « , à laquelle participeront 3 800 passionnés de l’épopée napoléonienne, dont 15 % de Tchèques, venus de tout le continent européen, d’Amérique du Nord, d’Australieà  » Plus de 6 000 postulants se sont présentés, souligne Miroslav Jandora, président du projet Austerlitz 2005, mais tous n’étaient pas rompus au maniement de la poudre et des fusils.  » C’est Mark Schneider, jeune historien américain de mère française, qui tiendra le rôle de Napoléon – comme il l’a fait en juin dernier à Waterloo. Son visage et sa personne présentent une ressemblance troublante avec ceux du général-empereur. Il a 36 ans, le même âge que son modèle en 1805. A ses côtés, dragons, grenadiers, grognards, artilleurs,  » chevaux noirs  » de la garde se déploieront selon l’audacieuse stratégie conçue par Napoléon.

En 1805, desservi par l’infériorité numérique de ses troupes – 75 000 hommes, contre quelque 90 000 dans le camp opposé – l’Empereur prépare un piège dans lequel ses adversaires, animés d' » une confiance aveugle, voisine de la présomption « , notera le maréchal Berthier, vont se jeter tête baissée. Il feint le repli, il leur abandonne les hauteurs de Pratzen. Tirant parti de cette nappe de brume qui inquiétait Mahlern, Napoléon masque le mouvement de ses troupes.

Une image positive de Napoléon

Quand le soleil se lève, surgis de nulle part, les régiments français enfoncent par le centre les lignes ennemies. A 17 heures, le terrain est jonché de morts, tombés pour la plupart dans les rangs des coalisés.  » Commémorer n’est pas célébrer cet affrontement sanglant qui s’est produit dans les pays tchèques alors sous occupation, précise Jandora. Mais l’esprit de Napoléon s’est porté si haut et si loin que beaucoup, ici, ont une image positive du personnage et non celle du tyran que nous présentait la propagande communiste. Austerlitz est un événement majeur qui jetait les bases, pratiquement, de la future construction européenne.  » Erigé dans les années 1910-1912, un monument de la Paix se dresse sur les hauteurs de Pratzen. La défense tchèque entend construire à proximité un radar de l’Otan. La population du voisinage s’y oppose. Une nouvelle bataille se livre à Austerlitz.

Issue de la Révolution française, commandée pour l’essentiel par des officiers sortis du rang, la Grande Armée représentait, en son temps, un danger majeur pour les monarchies impériales du continent. Elle a suscité des espoirs de libération, répandu dans son sillage les idées subversives de 1789 – qui se retrouveront, en Bohême, via le romantisme, dans le mouvement de l’Eveil national.

Fin novembre à Prague, sous l’égide de l’ambassade de France et de diverses institutions, une pléiade d’historiens se sont réunis sur le thème  » Quelle Europe annonce la bataille d’Austerlitz ? « . Côté français, les amateurs devront se contenter de colloques confidentiels et d’un son et lumière avec saint-cyriens en casoar et gants blancs, à Paris, place Vendôme, le 2 décembre. A croire que  » Napoléon dérange « , observe, sarcastique, le baron de Méneval, président du Souvenir napoléonien. Entre deux déplacements, Michèle Alliot-Marie, ministre française de la Défense, fera escale en Moravie, le temps d’une veillée d’armes et d’un dépôt de gerbe sur la butte de Zuran, où Napoléon avait établi son poste de commandement. Geste symbolique. Ce bicentenaire que la France escamote dans ses frontières, l’Europe centrale s’en est emparéeà

Sylvaine Pasquier

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