La méthode Langlois

Avec l’exposé de sept années d’instruction, le procès d’Arlon est entré dans le vif du sujet. D’une logique implacable, modeste face aux zones d’ombre de son enquête, le juge d’instruction gaumais contraste fortement avec son prédécesseur

Jacques Langlois, haussant le ton, le 8 mars dernier, devant la cour d’assises du Luxembourg.  » Je témoigne devant vous sous serment : j’affirme que je n’ai subi aucune pression de la gendarmerie, du pouvoir politique ou du pouvoir judiciaire. Il n’y a pas, dans ce dossier, une quelconque raison d’Etat. J’assume la responsabilité de tout ce qui a été fait.  » La comparaison avec la prestation confuse de Jean-Marc Connerotte, la semaine précédente, est quasiment impossible. Difficile de croire qu’il s’agit de deux personnes exerçant le même métier ! Le premier connaît le poids des mots et des choses, le second s’emberlificote dans des considérations affectives, où la  » sincérité  » qu’il prête à ses interlocuteurs joue un très grand rôle. Sa méthode, et jusqu’au titre de son exposé û  » enchaînement délictueux  » û, est imprécise. La nature de la complicité supposée entre Marc Dutroux et Michel Nihoul repose sur leur  » fréquentation  » et sur des  » échanges de services « . Il cite les propos informels, non versés au dossier, d’un médecin légiste mettant en doute la survie prolongée de Julie Lejeune et de Melissa Russo, au-delà de soixante jours sans pratiquement manger ni boire. Lorsque celui qui avait arrêté Dutroux est interpellé sur sa déclaration actée suivant laquelle des  » personnes avaient décidé de ne pas les laisser vivre  » (les petites victimes), il confie qu’il ne fallait pas prendre ses propos au premier degré, qu’il visait l’opération Othello et le fait que, munie des renseignements adéquats, la juge d’instruction liégeoise Martine Doutrèwe aurait pu délivrer les enfants. Il emploie des périphrases pour suggérer que la gendarmerie a voulu les  » mettre sous cloche « , le procureur du roi Bourlet et lui-même, en les dotant de voitures blindées et d’une surveillance rapprochée, sur la base de fausses informations. Se rend-il compte de l’incendie qu’il déclenche ? Dans sa mise au point, dès la reprise de l’audience, le 8 mars, l’ex-major de la gendarmerie Marcel Guissard affirme que cette protection a été sollicitée par le juge d’instruction lui-même, qu’elle a été supprimée dès que les juges Langlois et Gérard sont entrés en piste, après le dessaisissement du 14 octobre 1996. Il ajoute que jamais, en Belgique, de tels moyens n’ont été mis à la disposition d’une enquête û le  » petit juge  » assimilait le manque de moyens à une  » pression « . On comprend encore mieux, après l’avoir entendu, comment, pendant deux mois, Neufchâteau a pu devenir le centre de tous les fantasmes.

 » Le réseau  » ne tient pas la route

Jacques Langlois a fait retomber la cour d’assises d’Arlon sur terre. Systématique, précis comme un chirurgien qui opère, il a enfin eu le loisir d’expliquer à la cour son enquête et les résultats auxquels il a abouti, n’esquivant aucune des critiques qui ont émaillé son instruction, admettant qu’en dépit des efforts de ses enquêteurs on ne puisse pas tout savoir. Le volet Julie et Melissa négligé jusqu’en 2000 ? Il travaillait fait par fait, des plus récents aux plus anciens, pour finalement aboutir aux reconstitutions, dont il a établi plusieurs versions lorsque les déclarations des inculpés divergeaient. Exactement l’inverse de son exposé oral devant la cour d’assises, qui suit un ordre chronologique. Raison de cette méthode : aller des crimes les mieux connus à ceux sur lesquels planent et planeront, sans doute, toujours des zones d’ombre. De fait, l’enlèvement, la séquestration et les circonstances de la mort des deux petites Liégeoises n’ont pas eu de témoins directs, hormis la vieille dame qui dit les avoir vues monter, sans violence, dans une voiture, le samedi 24 juin 1995.

Le procureur du roi de Neufchâteau conteste cette version, situant l’enlèvement sur le pont de l’autoroute, où les chiens pisteurs ont  » marqué  » la trace de Julie Lejeune û ce qui a suscité entre Michel Bourlet et lui des  » échanges de vues assez musclés « , relève Langlois. Mais le juge rappelle que la mère de Julie avait refait le lit de celle-ci avant que les enquêteurs ne prennent, avec des pinces, la taie d’oreiller présentée au chien et que les deux mères avaient déjà battu les taillis proches du pont de l’autoroute. C’est sans doute l’odeur de Louisa Lejeune que la bête a reconnue. Il faut donc se baser sur des éléments matériels û leur séjour incontestable chez Marc Dutroux, à Marcinelle, et leur enterrement dans le jardin de Michelle Martin, à Sars-la-Buissière û, ainsi que sur les déclarations du couple, même si elles ont varié dans le temps en ce qui concerne Marc Dutroux, pour deviner ce que furent les conditions épouvantables de leur fin, étayées par le délabrement extrême de leurs corps exhumés.

Une chose est certaine : Julie, Melissa, An et Eefje ont subi l’enchaînement implacable du destin qui les a placées sur le chemin d’un violeur en série. Comprenez : l’idée d’un réseau omniscient et omnipotant ne tient pas la route. Après avoir retracé les premiers épisodes de la carrière criminelle de Marc Dutroux et de Michelle Martin, Jacques Langlois avait prévenu :  » Vous pouvez mettre le calque des faits de 1985 sur ceux de 1995 et 1996, c’est le même modus operandi. Seuls diffèrent le sort réservé aux victimes et l’usage de médicaments, à la place du sparadrap sur les yeux.  » Et de regretter :  » Bernard Weinstein est le grand absent de ce procès.  » Froidement éliminé par Dutroux, en novembre 1995, il a été probablement son complice dans l’enlèvement de Julie et de Melissa et dans l’élimination d’An et d’Eefje. Sabine, Laetitia… et Michel Lelièvre font vraiment figure de miraculés.

Le poids des mots et des choses, loin des périphrases

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