La mauvaise fortune de Reach

Serons-nous tous mieux protégés, demain, contre les effets néfastes des produits chimiques ? Pas sûr

(1) Un acronyme anglais pour  » registration, evaluation and authorisation of chemicals « .

Bientôt bannis des moindres recoins de notre environnement, les innombrables produits chimiques en circulation en Europe ( lire l’infographie) ? Et remplacés – pour les plus dangereux – par des substituts inoffensifs ? Bien téméraire, celui qui pourrait donner une réponse résolument affirmative, à l’heure actuelle, à ces deux questions… Le projet qui a passé la rampe du Parlement européen, il y a quelques jours, était pourtant de nature à faire sensiblement cheminer la population des Vingt-Cinq vers une plus grande sécurité, à la fois pour sa santé et son environnement.  » Reach  » – c’est son nom (1) – doit évaluer, avec près de vingt ans de retard, les 30 000 substances chimiques mises sur le marché avant 1981 ou importées en Europe sans analyse sérieuse par les Etats membres.

Ce dossier est crucial. Pas seulement parce qu’il a des impacts potentiels très concrets sur la santé publique, notamment dans la lutte contre des maladies (respiratoires, dermatologiques, liées à la reproduction…), dont quelques-unes sont encore peu connues, comme certains cancers. Si, après cinq ans de cheminement dans les couloirs européens, Reach est d’ores et déjà reconnu comme l’un des dossiers les plus lourds de l’histoire européenne, c’est parce qu’il a entraîné – et ce n’est pas fini – un déchaînement inédit des groupes de pression (industrie de la chimie contre associations de protection des consommateurs ou de l’environnement), une guerre des chiffres frôlant le chantage et la malhonnêteté intellectuelle (sur les pertes d’emplois dans la chimie et les bénéfices escomptés d’une politique préventive de santé), l’intervention personnelle de chefs d’Etat (Jacques Chirac) ou de Premiers ministres (Tony Blair), sans compter des fractures inhabituelles au sein des formations politiques et une montagne de textes législatifs et d’amendements.

Bref, dans Reach, tout n’est que superlatifs. Et particulièrement chez nous, en Belgique, où le chiffre d’affaires du secteur de la chimie est le plus important d’Europe par tête d’habitant. Mais où en est-on aujourd’hui ? Le 17 novembre, les parlementaires ont entériné le principe de renversement de la charge de la preuve : ce ne sont plus les Etats qui devront prouver que les substances sont dangereuses, mais bien les industriels qui devront démontrer qu’elles sont inoffensives. Autre point acquis : les substances produites à raison de plus d’une tonne par an et par fabricant (nettement majoritaires) devront être enregistrées dans un délai de onze ans. On commencera par les plus dangereuses et par les plus grandes quantités. Un bémol a toutefois fait hurler le monde associatif : la liste des données à fournir par l’industrie pour l’enregistrement des substances fabriquées à moins de 10 tonnes sera réduite (sauf pour les plus dangereuses). Résultat : selon Frédérique Ries (MR), une parlementaire belge très proche des associations sur ce dossier, seules 5 000 des 20 000 substances concernées feront l’objet de tests de toxicité complets. Greenpeace, notamment, estime que l’identification systématique et le remplacement des substances les plus dangereuses – c’est le  » principe de substitution « , l’un des fondements de la réforme – risque d’être rendu impossible. Ces éléments de la réforme entérinent une évolution pressentie depuis de longs mois : la chimie a bel et bien réussi à décrocher un règlement  » Reach  » allégé, partiellement vidé de sa substance.

De son côté, l’industrie digère mal un autre point : les substances les plus dangereuses recevront leur autorisation (s’il n’existe pas de produit alternatif) pour une période de cinq ans : un délai jugé beaucoup trop court en termes de sécurité d’investissement. Elle maintient ses craintes, par ailleurs, de voir divulgués les inévitables secrets de fabrication, liés à certaines préparations et d’être victime de lourdeurs bureaucratiques de la part d’une future Agence européenne des produits chimiques. Après ce vote fondamental, ce  » Reach  » light passera au Conseil des ministres européen, puis probablement à nouveau au Parlement européen, dans le courant 2006.

Philippe Lamotte

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