Lors de la prochaine saison, Jan Fabre fêtera ses dix années de résidence au Singel. Situé à Anvers, ce centre culturel à orientation internationale affiche souvent de prestigieux spectacles nés de visions originales de créateurs de talent. Jan Fabre, artiste pluriel, entièrement dévoué à une £uvre multiforme et tentaculaire, jouit d’une notoriété acquise sur tous les fronts, notamment chorégraphiques et plastiques. Il sait choquer, ravir, dégoûter parfois, intéresser toujours, car son travail ne laisse personne indifférent. En général, chez Jan Fabre, la poésie la plus délicate est souvent télescopée par la trivialité ou la violence. Rien de linéaire, ni dans les moments de bonheur ni dans ceux habités par l’effroi. Les lectures se superposent ou se complètent toujours de manière nourrissante, pour le public comme pour les interprètes de la compagnie Troubleyn, parfois mis à rude épreuve. Jan Fabre s’est rarement glissé dans une £uvre du répertoire. A cet égard, son fort convaincant aménagement du ballet Le Lac des Cygnes, qui fit l’unanimité de la critique et du public û chose rare chez ce familier de la controverse ! û, de même que l’opéra Tannhäuser que nous découvrirons sous peu à la Monnaie, à Bruxelles ( lire page 85), sont d’incomparables curiosités.
Le désir et la douleur
La saison » Fabre » du Singel débutera par la création de Crying Body, £uvre pour huit acteurs-danseurs. En ligne directe avec les investigations sur le corps dont Fabre aime se prévaloir û le corps en révolte, le corps érotique, le corps spirituel û, l’artiste se penchera cette fois sur les sécrétions du corps en état de désir ou de douleur. A côté des grosses productions, Jan Fabre a aussi composé pas mal de solos de danse où se combinent des textes et des éléments scénographiques frappants. Ainsi, Quando l’uomo principale è una donna û qui serait une préparation rituelle pour un retour au matriarcat û, où l’interprète, Lisbeth Gruwez, évolue sous un dôme de bouteilles laissant fuir un peu, puis beaucoup, d’huile d’olive ! Un spectacle que l’on pourra aussi voir à Bruxelles, tout comme deux autres monologues dansés, inspirés par l’£uvre de Marcel Duchamp, ou encore la reprise de Angel of Death.
La préparation de toutes ses fabrications scéniques a poussé Fabre à chercher un lieu adapté. A Borgerhout, quartier anversois difficile, où il est né et où ses parents vivent encore, Fabre a dégoté une école désaffectée jouxtant un vieux théâtre à l’italienne dont la toiture menace de s’effondrer, le tout faisant 2 600 mètres carrés ! Bénéficiant d’un soutien de la Communauté flamande et de la Ville d’Anvers, Fabre espère que son » laboratoire « , à savoir le Troubleyntheater, sera opérationnel dans moins d’un an, après les indispensables démolitions et réaménagements. Outre une salle de spectacle qui sera aussi ouverte à d’autres artistes, les différents espaces seront utilisés pour les répétitions, les loges, les ateliers costumes et décors. Dans l’idée de mélange des genres, ce que Fabre appelle la » concilience « , il est aussi prévu d’accueillir des scientifiques ou des philosophes en résidence. Enfin, d’autres espaces déjà utilisables mais manifestement sous-équipés abritent déjà Troubleyn, nom de la compagnie de danse, qui est aussi, en fait, le nom de la mère de Fabre. Il y logera également Angelos, sa société d’arts plastiques, ainsi que Janus, un mensuel artistique et multidisciplinaire en plusieurs langues qu’il a créé. Le prochain numéro traitera û pas étonnant û de… la subversion.
Bientôt, des films et des livres affineront encore le regard que l’on peut porter sur cet artiste à la hardiesse et à la fécondité fascinantes et qui sera invité d’honneur en charge de la programmation du Festival d’Avignon 2005.
Lucie Van de Walle