La Love Story de Linda McCartney

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Life in Photographs met en relief le talent particulier de la femme du Beatles Paul pour photographier l’intime : de Jimi Hendrix à sa propre famille dans les brumes écossaises, un sentiment de liberté fait vibrer les images.

Il y a dans l’édition luxe – Taschen oblige – de Life in Photographs, une image importante . A la coupe de cheveux, on sait qu’elle date des années 1970 : elle montre Linda photographiant dans un miroir Paul qui mime le geste du déclic dans le même mouvement corporel. Le double portrait serait parfaitement anecdotique, s’il ne reflétait autant l’amour fusionnel qui lie ces deux-là de leur rencontre en mai 1967, au Bag O’Nails de Soho, à la mort de Linda, d’un cancer du sein, le 17 avril 1998, au ranch familial d’Arizona. Mariés en mars 1969, Linda et Paul ne se quitteront pas, traversant ensemble l’intégralité  » moins une semaine « de trois décennies pour le moins incandescentes. Cette union se manifeste sur scène, avec les Wings dans lesquels Linda fait de la gentille figuration, et en dehors : ferments d’une vie pleine, heureuse, qui s’incarne dans les innombrables photos prises par Linda de la tribu McCartney. Avant de saisir si bien l’envers du décor d’un ex-Beatles milliardaire, Linda connaît un premier choc : celui de la photographie.

Prime jeunesse

Née en 1941 dans une famille de Scarsdale, bourgeoise banlieue new-yorkaise, Linda Eastman est la petite-fille d’immigrés juifs russes, ayant réussi dans le droit des affaires. Et n’est pas liée à une famille, elle vraiment célèbre de la photographie et du film, les Eastman de la gloire Kodak. L’image lui tombe dessus, début des sixties lorsqu’elle accompagne une amie au Tucson Art Centre d’Arizona :  » Je pensais que l’enseignement consistait à apprendre la manipulation des caméras, écrit-elle dans l’introduction du bouquin Taschen, mais ce n’était pas cela du tout, on a regardé des images de Walker Evans, Dorothea Lange, Ansel Adams, vraiment des grands photographes. Ma préférée était Lange et la façon dont elle avait saisi les travailleurs itinérants (durant la Grande Dépression).  » La leçon naturaliste de Lange et des autres mémorialistes de l’Amérique, Linda l’intègre à sa façon : plus tard dans sa vie, elle sanctifiera son propre amour des paysages et des animaux en multipliant les images sur les chevaux. C’est la dernière partie du livre peuplée de canassons gracieux, comme fondus dans une brume fatalement anglaise. Elle a déjà saisi qu’il fallait traiter rock stars et espèces sauvages avec le même appétit :  » Je ressens une sorte de scintillement dans l’£il quand j’accomplis ce que je cherche, avec une petite touche d’humour et de surréalisme. « Le destin frappe alors qu’elle travaille à Town & Country, magazine américain de Lifestyle. Il s’agit d’une invitation à venir photographier les Rolling Stones de passage à New York : Linda capte la bande à Jagger dans sa prime jeunesse, badinant sur un yacht qui remonte l’Hudson pour une session promo. La moue de Mick, encore fraîche, est déjà conquérante. On est en 1966 et Linda vient de découvrir que ces pop stars naissantes – les Anglais comme les Américains – maximalisent les sixties. Qu’ils les incarnent avec arrogance et qu’ils ont son âge, la vingtaine. Même si elle est déjà une femme mariée, à un ex-camarade des bancs de l’université d’Arizona où elle a décroché un master en arts. Mère de famille depuis 1962.

En devenant photographe maison au Fillmore East de Bill Graham (1), Linda est au c£ur de la pile qui atomise l’époque : c’est là qu’elle approche Jimi Hendrix, The Doors, Janis Joplin et les autres. Elle les saisit en concert bien sûr – électrique BB King – mais les fréquente aussi en dehors, d’où cette impression d’égrener une psyché mystérieuse, de peler un ou deux mystères du vedettariat pas encore en route pour le gigantisme woodstockien.

Moments charnières

Quelques-unes des plus belles images de Life in Photographs captent ce temps des innocences épanouies : Simon et Garfunkel, attentifs, en studio, Tim Buckley (père de Jeff) en candid picture sur un roc de Central Park, Neil Young, les yeux bienveillants plantés dans l’objectif, une partie des Mamas and the Papas banalement à table, devant la télévision. Le plus souvent dans un noir et blanc justement  » graineux « . Elle travaille donc pour la presse, pour Mademoiselle, où elle embarque l’icône soul Aretha Franklin dans une session de mode qui dérive en confession à la vodka. Elle est aussi la première femme à décrocher la Une du magazine Rolling Stone : en mai 1968 avec un portrait d’Eric Clapton, un peu grave, définitivement intime.

Envoyée à Londres pour chroniquer les swingingsixties, elle y rencontre Paul McCartney, saisit la complicité des Beatles – on est au printemps 1967 – et finit par épouser leur coleader chérubin en mars 1969. Ces moments charnières de la Beatles story, le passage de la jubilation de Sgt. Peppers à la séparation acrimonieuse, sont l’un des moments importants du livre. Belles photos de la bande à Lennon, sentiment d’accomplissement communautaire, et puis disgrâce des rapports, fuite vers la solitude en famille dans les étendues campagnardes du Sussex ou le no man’s land d’Ecosse. Une bonne moitié de l’ouvrage de Taschen est ainsi consacrée à la vie post-Beatles de Linda, Paul et de leurs quatre enfants, Mary, Stella, James et Heather, adoptée lors d’un premier mariage.

On n’y voit pratiquement aucune photo des Wings, groupe formé par Paul, incorporant Linda, qui aura, dans les seventies, un énorme succès. Peut-être parce que le rôle de claviériste/choriste joué par elle, n’aura jamais vraiment bonne presse, la femme du patron étant, de fait, nettement plus douée au rayon photos qu’à celui des vocalises… A peine aperçoit-on d’ailleurs quelques indices de show-business, Paul partageant deux clichés avec le Michael Jackson de 1981-1982, encore humain. Par contre, on regarde Paul et les kids sous toutes les coutures, y compris celle de Stella qui fera plus tard carrière dans la haute. Il y a ce très beau moment de Paul et de Mary enfant, nimbé de couleurs chaudes, devant un rideau. Si loin du monde bruyant de la gloire, de ses spasmes pailletés. Mais comme si ce dernier ne lâchait jamais ses proies, ce livre sentimental se termine avec quelques images de vedettes prises dans les années 1990, Jeff Buckley, Jim Jarmusch, Johnny Depp et Kate Moss, joli couple de 1995. Ramenant involontairement ( ?) aux chromos de Linda et Paul, incarnant pleinement un livre qui est autant une histoire d’images rock que d’amour.

(1) Imprésario et producteur américain (1931-1991) qui ouvre en 1968 les Fillmore East et West, respectivement à New York et San Francisco, où défile toute la scène rock.

PHILIPPE CORNET

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